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ZACHARY BAQUÉ & VINCENT SOULADIÉ / Frederick Wiseman, ordre et résistance

ZACHARY BAQUÉ & VINCENT SOULADIÉ / Frederick Wiseman, ordre et résistance

Forte d’une constance et d’une rigueur sans commune mesure, l’œuvre de Frederick Wiseman s’enrichit en moyenne d’un nouveau film tous les deux ans depuis plus de cinquante ans (à l’heure où nous écrivons ces lignes, il a signé quarante-trois longs métrages). De Titicut Follies (1967) à City Hall (2020), le cinéma de Wiseman n’a donc jamais cessé d’être dans l’actualité (des sorties, des discours critiques), à défaut d’avoir déjà cherché à être ostensiblement d’actualité (il n’est jamais animé par l’urgence d’avoir quelque chose à dire ou à rapporter sur les événements forts du moment). Chacun de ses nouveaux documentaires constitue en fait un rendez-vous périodique avec un auteur dont l’ouvrage infini se construit avec méticulosité, fragment par fragment. C’est même devenu un lieu commun de répéter que Wiseman est le maître d’œuvre d’un unique et immense documentaire au long cours sur les institutions de la société étatsunienne, voire occidentale, chaque film y ajoutant un nouvel épisode. Dès ses débuts, n’est-ce pas de cette façon qu’il décrivait lui-même son œuvre ? « En un sens, […] je ne fais qu’un seul film, plus long que les autres »i, confiait-il aux Cahiers du cinéma en 1979.

Dans le souci de ne rien manquer d’une œuvre en fabrication permanente mais qui semble ne pouvoir se saisir convenablement que dans sa globalité, des programmateurs organisèrent des rétrospectives en son honneur dès le début des années 1970, et plus encore depuis le milieu des années 1990ii. Après une première initiative quasi pionnière en France en 1997, La Cinémathèque de Toulouse consacra au mois de mai 2017, sous l’égide de son programmateur Franck Lubet, son deuxième grand cycle de projections autour de Frederick Wisemaniii, dans le cadre duquel fut organisée la journée d’études à l’origine de la publication de ces textesiv.

En dépit de cette incontestable reconnaissance internationale, l’œuvre de Wiseman reste pourtant marquée depuis ses débuts par un paradoxe tenace. En 1979, dans les Cahiers du Cinéma, Serge Le Péron s’offusquait déjà que les douze films que le cinéaste avait alors tournés fussent si difficiles à voir. Il soulignait alors « l’urgence qu’il y a à programmer ‘‘tout Wiseman’’ »v. Trente-huit ans plus tard, en 2017, dans un article du Boston Globe consacré à la rétrospective Wiseman organisée par le Museum of Fine Arts de Bostonvi, le critique Ty Burr affirmait encore : « Frederick Wiseman mérite plus qu’une célébration. Il mérite d’être vu »vii. Fort de ses 43 longs-métrages, quel rendez-vous Wiseman aurait-il manqué pour que le même constat ait besoin d’être établi à l’égard de son œuvre à quarante ans d’intervalle ? Ne fut-il pas reconnu entre temps comme l’un des plus grands documentaristes américains, célébré par la critique et salué par ses pairs, détenteur d’un Lion d’Or à Venise pour l’ensemble de sa carrière en 2014, d’un Oscar d’honneur en novembre 2017, d’une Caméra d’or au festival de Cannes 2021 ? C’est là tout le paradoxe wisemanien : la reconnaissance dont il fait l’objet s’accompagne depuis toujours de la déploration que ses documentaires restent dans l’ombre.

L’interdiction dont fit l’objet Titicut Follies (1967) à sa sortieviii ne jeta pourtant pas l’opprobre sur ses films suivants, dont l’accès fut facilité au fur et à mesure des années et de l’exposition médiatique du cinéaste. Dès l’origine coproduits par la chaine de télévision publique PBS, ils connurent tous jusqu’à aujourd’hui l’exclusivité d’une diffusion sur le petit écran, quoiqu’à une heure parfois tardiveix, ce qui offrit rapidement à Wiseman une petite base de spectateurs fidèles. A ces spectateurs aux États-Unis s’ajoute un plus large public à l’étranger renforcé à l’occasion des diverses rétrospectives que nous évoquions plus haut mais aussi à la sortie en salles de chacun de ses films, notamment en France. Loin d’être un auteur reclus et secret, Wiseman travaille lui-même d’arrache-pied à la distribution la plus large possible de ses films. L’arrivée d’Internet, tard dans sa carrière, lui permet ainsi d’en diffuser des copies DVD via le site de sa maison de production, Zipporah Films, en monétisant leur achat ou leur location, l’accent étant mis sur la licence d’exploitation en milieu scolaire. Déclarer que Wiseman mérite d’être vu c’est donc suggérer que sa production pléthorique ne devrait pas se cantonner simplement au milieu éducationnel, aux réseaux académiques, ou au circuit des musées et des cinémathèques. L’intégralex Wiseman éditée en 2016 par Blaqout en version restaurée constitue une réussite en la matière mais reste une exclusivité française. Concernant la mise à disposition des films à domicile via les nouveaux modes de diffusion en streaming, la situation n’a guère changé depuis 2012, lorsque le cinéaste déplorait que ses contacts avec Netflix n’aient pas abouti et que leur offre de documentaires soit encore privée de son œuvrexi. C’est là encore la France qui paraît la mieux lotie puisque le catalogue des films édités par Blaqout est disponible à la location sur le service de vidéos à la demande UniversCiné.

Dans tous les cas, le contraste entre la haute réputation de Wiseman et la confidentialité de ses films demeure une aporie qui s’explique peut-être moins par la difficulté d’accéder aux copies que par leur supposé hermétisme. L’austérité du style wisemanien, dont certains articles de ce dossier essaient de montrer comment celui-ci a évolué en 50 ans, échappe avec indifférence à tout cadre de réception institutionnalisé et façonne, en quelque sorte, son propre territoire esthétique, sa propre économie temporelle, ses propres règles dramatiques, sa propre poétique en somme. La longueur parfois extrême de ses films, leurs sujets réputés difficiles d’accès (en particulier ses documentaires situés en milieu hospitalier qui confrontent directement le regard du spectateur à la mort, Titicut Follies, Hospital [1970], Near Death [1979]), l’absence de confort énonciatif que pourrait procurer par exemple une voix off, constituent des enjeux éthiques et esthétiques exigeant un spectateur attentif, patient, concentré et curieux, enclin à s’ouvrir à de nouvelles expériences cinématographiques. Programmer et voir tout Wiseman ne peut se faire qu’au prix d’une telle exigence : cette entreprise n’implique pas seulement la mise à disposition des films mais aussi la bonne disposition mentale du public.

Pourrait-on dire pour autant que l’œuvre wisemanienne ne ressemble à rien de connu ? C’est justement le nœud d’un autre paradoxe : Wiseman amorce son œuvre dans le sillage du cinéma-vérité tout en rejetant ce termexii et en se défendant d’appartenir à une chapelle esthétique, prônant plus volontiers une approche littéraire, romanesque. « Les rushes c’est l’expérience du romancier et l’écriture c’est le montage. De la relation des deux mémoires, (la vôtre et celle du tournage enregistrée sur la pellicule) sort le film par le montage »xiii, analysait-il en 1979. Ce constat est parfois partagé par les commentateurs de son œuvre, comme en témoigne l’analyse de Laura Fredducci, Quentin Mével et Séverine Rocaboy : « c’est bien une vision littéraire du monde qui domine chez le cinéaste, qui se refuse à simplifier le caractère profondément ambigu du réel. Ce que l’on appelle vérité n’est qu’une construction sociale, elle aussi »xiv. La qualité littéraire du cinéma wisemanienxv ne se donne pourtant pas immédiatement à saisir. Sa caméra documentaire rencontre une réalité tellement familière a priori qu’elle produit des images dépourvues de toute séduction immédiate et des films facilement exposés au soupçon du rébarbatif. Si l’art de Wiseman vient de ce qu’il trouve manière à dégager du quotidien le plus sévère les instants saillants et les instants faibles pour les recomposer à des fins poétiques et construire à cet égard un commentaire sur la société, encore faut-il que sa démarche soit éclairée par des discours de passeurs qui inviteraient le public à voir ses films, et à voir autrement le monde à travers eux.

De fait, force est de constater que s’il est peu vu, Wiseman est un auteur dont l’œuvre a donné lieu à un certain nombre d’écrits critiques. Il apparaît que sa filmographie vaste et complexe est échafaudée autour d’une série de lignes de force thématiques et unifiée par une discrète cohérence formelle dans lesquelles la critique a très vite su déceler l’expression singulière de son style. Par exemple, les critiques Richard Schickel de Life Magazine ou Tom Shales du Washington Post consacrèrent un « brillant réalisateur de documentaires [dont le style est si] distinctif et raffiné que peu importe comment les autres l’imitent, il demeure le maître incontesté »xvi. Son soutien américain le plus connu vient de Pauline Kael qui écrivit à la sortie de Hospital en 1969 une phrase beaucoup citée depuis : Wiseman incarne « probablement l’intelligence la plus sophistiquée à être entré dans le champ du documentaire depuis des années»xvii. En France, Serge Le Péron fut l’un des premiers dans les Cahiers du Cinéma à se spécialiser dans l’œuvre de Wiseman et à l’interviewer. La sortie de presque chacun de ses films sera par la suite chroniquée comme un événement, aussi bien par les Cahiers que par Positif, régulièrement accompagné de dossiers rétrospectifs et d’interviewsxviii.

Ces différentes publications nous permettent de dégager des modalités d’approche révélatrices des difficultés que représente son œuvre pléthorique et continuelle pour être appréhendée et présentée dans son ensemble. En premier lieu, une tendance à la rétrospection, c’est-à-dire le passage en revue film par film depuis Titicut Follies, comme une nécessité de lutter contre la menace de l’oubli en retraçant pas à pas la chronologie de l’œuvre, à laquelle s’ajoutent à chaque nouvelle occurrence quelques nouveaux opusxix. Ensuite, la pédagogie par la récapitulation, c’est-à-dire le rappel systématique de la méthode Wiseman, qui sous-entend que le lecteur est toujours néophyte et qu’il faut reprendre la présentation de l’auteur de zéro. Un autre effort pour appréhender l’œuvre et la synthétiser se retrouve dans l’usage de certaines idées voire de certains termes à visée généralisante, tout à fait justifiables au vu de l’ampleur de la production wisemanienne. Dès 1971, alors que le cinéaste n’a tourné que quatre films, Alan Rosenthal estime déjà qu’ils traitent tous du même sujet, à savoir l’exercice et la manipulation du pouvoir au sein des institutionsxx. En 1979, Serge Le Péron décrit la « convivialité »xxi du système Wiseman à l’égard des institutions qu’il filme, tandis que Camille Bui évoque en 2016 « l’hospitalité »xxii dont ses films font preuve. Une autre tendance critique pourrait être nommée la définition en négatif. Nous entendons par là une volonté de cerner les spécificités de l’œuvre par opposition à des contre-objets critiques. Cette méthode est par exemple illustrée par Serge Le Péron lorsqu’il avance que Wiseman « tourne, avec une surprenante permanence, le dos au cinéma américain d’aujourd’hui »xxiii. Deux ans plus tôt, Le Péron mettait en garde contre « l’injustice qu’il y aurait à cantonner [son cinéma] dans les tiroirs de la sociologie, du ‘‘réel’’ et même de la critique idéologique »xxiv. Pierre Legendre affirme également en 1996 que « ce serait rabaisser le regard sur l’homme que d’assimiler un tel discours aux borborygmes des sciences sociales, humaines et autres »xxv. Thierry Jousse insiste sur cette idée en 1999 : « on aurait tort de parler du cinéma de Wiseman comme d’un cinéma de l’institution »xxvi, il faut « se garder de peindre Wiseman en chercheur scientifique ou en formaliste du social »xxvii. Pour comprendre le style de Wiseman il faudrait donc éviter de confondre ses films avec le champ documentaire qui l’environne et se défaire de toute grille de lecture parasite. La dernière tendance pour parler de son cinéma, sans doute la plus courante, relève du discours de la méthodexxviii. Elle repose sur la parole de Wiseman lui-même, qui à longueur d’entretiens depuis cinq décennies décrit avec précision ses méthodes de travail. On pourrait mettre cette disposition au crédit de l’inquiétude interprétative provoquée par une si dense filmographie, obligeant le cinéaste, dont on n’entend jamais la voix dans ses films, à devenir le principal commentateur de son œuvre, au risque d’une réduction de sa pratique documentaire aux intentions techniques et morales dont il fait état.

Du côté des publications universitaires, les obstacles posés par l’œuvre wisemanienne sont globalement identiques (difficulté à voir les films, difficultés à synthétiser par les mots une telle durée filmique). La longueur des ouvrages permet toutefois de palier à certaines contingences de la presse écrite en prenant cette fois-ci deux grands partis pris discursifs. En premier lieu, la description substitutive. Publiés en 2006, les ouvrages de Barry Keith Grantxxix et de Philippe Pilardxxx, présentent tous deux des perspectives voisines : retranscrire exhaustivement, dans le détail, séquence par séquence, et même au dialogue près pour Barry Keith Grant, le contenu des films de Wiseman. Se présente là le cas rare d’une œuvre pour laquelle l’autorité du texte filmique prévaudrait sur toute autre considérations critiques subsidiaires. Restituer l’unicité et la totalité de la partition permet certes de palier à l’invisibilité des films mais cette seconde vie dématérialisée s’éloigne aussi de l’expérience cinématographique de la durée et de l’immersion en donnant crédit à l’authenticité hiératique du film plutôt qu’à sa réception erratique. En second lieu, l’arrangement thématique est une autre méthode d’appropriation de l’œuvre. Barry Keith Grant y souscrivait dans un premier ouvrage plus ancienxxxi, de même que Philippe Pilardxxxii ou encore Maurice Darmonxxxiii. Il s’agit pour eux de discerner de grandes étapes chronologiques dans la carrière du cinéaste ou de dégager des corpus internes à l’oeuvre. Dans les différentes études auxquelles ils ont donné lieu, les films de Wiseman sont donc rarement éclatés en séries de motifsxxxiv mais sont le plus souvent étudiés films par films, ou par grands regroupements de films. L’idée y est toujours de tracer des axes chronologiques ou thématiques permettant de réunir plusieurs films sous un même intitulé cohérentxxxv, bref de trouver de l’unité dans le foisonnement, de mettre en ordre une œuvre qui résiste à l’appréhension critique immédiate.

De par sa nature collective, le présent dossier propose de trouver des points de jonction parfois inattendus entre les longs-métrages plutôt que d’établir des schèmes généraux couvrant la totalité de la carrière de l’auteur. Ce sont en fait dans les fins détails des œuvres que les textes réunis ici invitent à loger le regard, en travaillant aux rapprochements non chronologiques des films, à la mise en lumière des entrecroisements et des cohabitations de motifs et de figures, aux « tout petits liens »xxxvi entre les œuvres, pour reprendre une expression de l’ethnographe François Laplantine. C’est au fond la démarche même prônée par Wiseman dans son cinéma, se rendre « attentif aux petites liaisons et aux minuscules graduations que l’on peut observer dans des comportements en apparence anodins, mais qui pourraient bien avoir des implications éthiques et politiques »xxxvii. Or, ces liens entre les individus et leur milieu sont le plus souvent révélateurs de tensions autour desquelles s’articule l’exercice du pouvoir institutionnel.

Rappeler l’immersion de Wiseman dans les arcanes de ces institutions relève de l’évidence. Mais il importe toujours de rappeler l’extraordinaire synchronicité de son cinéma avec la pensée contemporaine des institutions : ses premiers films sont contemporains du sociologue Erving Goffman (auteur d’Asilesxxxviii publié six ans avant Titicut Follies), avec qui il fut souvent mis en parallèlexxxix à son corps défendantxl, contemporains d’Althusser (Idéologie et appareils idéologiques d’Étatxli, 1970), contemporains de Baudrillardxlii, et bien sûr contemporains de Michel Foucaultxliii (Surveiller et Punirxliv, 1975). C’est par une formule assez vague que Wiseman définit lui-même ce qu’il entend par « institution » : « un lieu qui a certaines limitions géographiques et où au moins quelques personnes ont des rôles bien établis »xlv. Au regard de ce qu’il en dépeint dans ses films, nous pourrions préciser que les institutions médicales, judiciaires, scolaires ou militaires se dévoilent comme des macrostructures de pouvoir au cœur desquelles se débattent des individus en situation de résistance face à la violence physique ou symbolique exercée par l’appareil répressif auquel les soumet leur environnement. Cette définition n’est pas tellement éloignée de la conception de l’institution proposée par Michel Foucault dans Surveiller et Punir, celle d’un organisme coercitif visant à réguler l’action des corps, à les instrumentaliser dans une optique utilitariste à la fois spatiale et temporelle. Ces contraintes physiques, explique Foucault, n’agissent pas sur les corps d’une manière générale et surplombante en leur dictant simplement une direction à suivre et une durée à respecter, le pouvoir oppressif de l’institution s’insinue en fait au plus près des gestes effectués : « il ne s’agit pas de traiter le corps, par masse, en gros, comme s’il était une unité indissociable, mais de le travailler dans le détail ; d’exercer sur lui une coercition ténue, d’assurer des prises au niveau même de la mécanique – mouvements, gestes, attitudes, rapidité : pouvoir infinitésimal sur le corps actif »xlvi. Or, par ses choix de cadrage et de montage, Wiseman prend soin d’arrêter son attention minutieuse sur les détails, les démarches, les gestes, les postures des individus assujettis aux institutions qui les gouvernent [Fig. 1]. Annexé à un processus gestuel échafaudé dans chacune de ses inflexions par des forces aliénantes extrinsèques au libre arbitre, le corps expose une économie du visible qui devient le signe même du pouvoir qui la produit. Cette surdétermination du corps par le langage du pouvoir, l’assujettissement physique à la discipline institutionnelle telle que la décrit Foucault, ne s’accomplit pas de soi mais exige des opérations de formatage. Elle impose un rituel de l’épuisement à travers des efforts de répétition des mêmes gestes jusqu’à ce que ceux-ci s’articulent à une rigoureuse performativité rythmique. Cependant, plutôt que de dresser un constat critique de ces institutions occidentales, Wiseman cherche aussi à saisir par l’image le rythme humain sous-jacent à l’aménagement règlementaire du temps socio-professionnel, dans une perspective confinant à l’ethnographie telle que la définit encore François Laplantine : « En effet, l’ethnographie, comme le cinéma, se doivent notamment de trouver la temporalité précise des minuscules transformations, le moment exact où il n’est plus possible que le phénomène “consiste en”, “est constitué de” mais s’esquisse et devient »xlvii. Ainsi, Wiseman ne se contente pas de traquer dans le langage corporel de ceux et celles qu’il filme les symptômes de cet ordonnancement physique et mental, il retient également les temps vides, les scories, les gestes improductifs, ratés ou inappropriés, l’agitation incontrôlée ou la maladresse à partir desquelles il identifie des figures de résistance insoumises aux protocoles de la « technologie politique des corps »xlviii que décrivait Foucault [Fig. 2]. Se faisant, Wiseman restaure dans le documentaire le pouvoir attractionnel du cinéma quand il se fait le support d’expression des corps indociles et hors-normes. Ces corps résistants au pouvoir coercitif de l’institution peuvent alors gagner à l’image une identité proprement cinématographique de corps burlesquexlix, de corps horrifiquesl ou de corps satirCes réflexions, caractéristiques de bon nombre de ses films, couvrent-elles pour autant l’ensemble de sa carrière ? L’angle subrepticement critique de son regard de documentariste du monde occidental est-il resté inflexible ? Attaché à son kaléidoscopique portrait social, dont il ne dévie que par très rares intermittencesli, Wiseman pourrait sembler indifférent au passage du temps et à l’évolution des mœurs. Pourtant, comme certains des textes réunis dans ce dossier tâchent de le montrer, le cinéaste est toujours conduit à se confronter au temps qui passe, à opposer la quasi immuabilité de son dispositif cinématographique à une réalité socioculturelle perpétuellement changeante, aux bornes insaisissables, entraînant son regard et celui des spectateurs à toujours se repositionner. Cette conscience du passage du temps est trahie par au moins trois phénomènes. L’intégrité de la durée tout d’abord, c’est-à-dire l’étirement des séquences conduisant à la longueur exponentielle des films, comme si l’instant présent et les rapports humains qui se jouent devant la caméra se devaient de figurer dans toute leur plénitude. L’adaptabilité technique, ensuite : toujours fidèle au chef opérateur John Davey depuis Manœuvre (1978), et soucieux de ne rien céder au confort d’une prise de vue et d’une prise de son minimalistes (son équipe est réduite à trois membres, lui-même jouant le rôle de preneur de son, un chef opérateur et un assistant), Wiseman a su faire évoluer ses outils au fil des ans. La caméra 16mm noir et blanc des premiers films a laissé la place à une pellicule couleur (depuis The Store, 1983) puis à une caméra numérique haute-définition (à partir de Crazy Horse, 2011), de même qu’il s’est décidé tardivement à opter pour un logiciel Avid de montage numérique (depuis La Danse, 2009). Ces progrès techniques ne sont cependant jamais sans retour, Wiseman pouvant très bien décider de revenir à la pellicule ou au noir et blanc lorsqu’il en perçoit la nécessitélii. En tout cas, les évolutions techniques auxquelles il souscrit entraînent une mutation de l’identité esthétique de ces films que plusieurs des textes du dossier interrogeront. Enfin, la conscience du temps qui passe conduit Wiseman à réinvestir à plusieurs décennies d’intervalles les mêmes thèmes, voire à revisiter les mêmes institutions (cf. High School, 1968 ; High School II, 1994). L’écart et le retour signalent l’exigence qu’entretient le regard wisemanien de se projeter dans le temps, de saisir le présent et de le recontextualiser à la fois dans un mouvement sociohistorique et dans le flux de son œuvre.

L’ambition des textes réunis ici est de mettre en lumière les moyens formels par lesquels Wiseman met en exergue des tensions entre l’ordre institutionnel et la résistance des corps, entre l’état de fait de l’actualité et la mutabilité sociale, entre la cohérence d’un dispositif et le renouvellement esthétique, entre l’unité de l’œuvre et la résistance du sens.

Barry Keith Grantest l’un des principaux spécialistes anglophones de l’œuvre de Frederick Wiseman et l’auteur de deux ouvrages de référence à son sujet : Voyages of Discovery: The Cinema of Frederick Wisemanliii et Five Films by Frederick Wisemanliv. Le texte qu’il nous confie amicalement et que nous avons l’honneur de publier dans ce dossier est une mise à jour inédite du premier chapitre de Voyages of Discovery, fruit de ses recherches à propos de six des premiers documentaires de Wiseman, Titicut Follies (1967), High School (1968), Law and Order (1969), Hospital, Juvenile Court (1974), et Welfare (1975). Chacun d’eux conduit le cinéaste à scruter le fonctionnement d’une institution publique américaine (médicale, scolaire, judiciaire ou sociale), chacune étant présentée comme un microcosme humain à l’intérieur duquel le spectateur est amené à voir se former un précipité des différentes tensions de classe, de genre, de race, qui déterminent la faillite du rêve américain dans sa globalité. Optant pour une approche systématiquement observatrice, jamais interventionniste, Wiseman place les spectateurs dans des situations d’inconfort en refusant d’afficher ouvertement ses intentions discursives. Barry Keith Grant analyse ainsi avec minutie les stratégies stylistiques employées par le cinéaste pour éviter les clés morales et émotionnelles et faire participer intellectuellement le spectateur au processus d’assimilation du film. L’auteur analyse particulièrement la question de l’ironie, notamment décelable dans certains enchaînements de plans, et développe la notion de performance, à savoir la part de représentation à laquelle se livrent consciemment les sujets filmés, à la fois au sein des institutions qu’ils occupent et pour la caméra qui les suit. Les rituels festifs chantés et dansés qui ponctuent plusieurs de ces films permettent ainsi à Wiseman de singulariser son approche esthétique en introduisant une dimension auto réflexive complexe vis à vis du médium cinématographique et du geste documentaire.

Dans son article intitulé « La fiction réaliste de l’espace social », Delphine Letort démontre la part de recherche artistique que revêt le cinéma de Wiseman sous ses faux dehors d’observation sociologique. La forme donnée à la matière filmée, par les choix de cadrage et de montage, renvoie les images à une instance énonciative critique, pour laquelle la pseudo objectivité du regard du documentariste est un leurre. Delphine Letort analyse ainsi à partir de Welfare, Model et In Jackson Heights la manière dont la caméra de Wiseman prélève avec subtilité sur les corps et les visages les signes de servitude des individus aux contraintes de l’espace social. Sans pour autant dénoncer les injustices de la réalité sur un ton pamphlétaire, Welfare et Model mettent en exergue la solitude et l’impuissance d’hommes et de femmes face à un système coercitif épuisant, dont le pouvoir se retrouve dans les institutions sociales comme dans la représentation publicitaire. In Jackson Heights témoigne de l’établissement insidieux du pouvoir au sein d’une communauté multiculturelle où le différentialisme induit des rapports de classe dictés par le néo-libéralisme.

Thanassis Vassiliou s’intéresse pour sa part à Boxing Gym (2010), opus de la période contemporaine de Wiseman singulier pour sa brièveté (91’) et son sujet intimiste (les coulisses d’une petite salle de boxe à Austin au Texas). Comme toujours, Wiseman filme en huis-clos. À sa toute petite échelle ce lieu de proximité se fait non pas le reflet mais la chambre d’écho des événements violents intrinsèques aux États-Unis d’Amérique. La discipline propre au sport de combat se présente ainsi comme un moyen de canaliser les pulsions agressives et la salle d’entraînement acquiert le statut d’un lieu quasi sacré. L’article s’emploie alors à décortiquer la structure narrative sous-jacente à ce documentaire pour démontrer comment le montage de celui-ci répond à des impératifs dramatiques proche d’une fiction classique (exposition, arcs narratifs, montage continu, crescendo rythmique constant, situation de crise, climax final, résolution). Boxing Gym parvient ainsi à rappeler qu’au-delà des bornes arbitraires tracées entre la fiction et le documentaire, Wiseman peut être vu comme l’un des derniers grands cinéastes classiques.

Mathias Kusnierzsuit une intuition de recherche stimulante en choisissant de confronter la pratique du montage de Wiseman aux réflexions théorisées par Walter Murch, à savoir que l’efficacité des enchaînements de plans doit reposer sur une approche à la fois cognitive et linguistique, la réalité filmique devant se confondre avec la pensée. Le cinéma de Wiseman, qui est assez vite devenu adepte d’un style minimaliste et de coupes invisibles, peut-il servir d’exemple pour illustrer cette conception expérimentale du montage ? Les investigations de Mathias Kusnierz le conduisent finalement dans des chemins de traverse inattendus, jusqu’à formuler des propositions théoriques personnelles concernant les modalités de traduction de la réalité par le rythme du cinéma, la conversion du continu en discontinu ou inversement, les puissances figurantes et défigurantes du montage, et autres phénomènes filmiques permettant à Wiseman d’engager subtilement un point de vue politique à l’égard des institutions filmées, d’en déconstruire les rouages.

Patricia Kruthétudie les différences et les rapprochements entre les deux High School tournés par Wiseman à 26 ans d’intervalle (1968 et 1994). Dans le premier film, l’ordre et la discipline caractérisent le portrait que Wiseman dresse de la Northeast High School, un lycée coté de Philadelphie. Alors que les murs de l’établissent semblent hermétiques aux désordres du monde extérieur, son règlement impose une forme de violence sociale sur les élèves et le personnel, appelés à adopter un comportement docile. High School II présente pour sa part un lycée new yorkais ouvert sur l’environnement politique et social extérieur et situé dans un quartier défavorisé. Cet établissement y prône une pédagogie moderne et humaine fondée sur les principes d’un idéal démocratique. La discussion et l’ouverture d’esprit y sont préférées à l’obéissance et à la sanction. L’institution scolaire d’High School est présentée comme un milieu clos, sinon carcéral, dans lequel le temps est vécu comme une contrainte invisible. Wiseman en traque les signes dans la banalité des gestes et des situations, filmant des corps conditionnés malgré eux par la mécanique d’une chorégraphie quotidienne. Ces contraintes sont rapportées par les cadrages étouffants et les coupes agressives, tandis que la caméra de High School II embrasse les groupes humains hétéroclites dans un même cadre et octroie de longs plans au développement de leurs échanges. Ces disparités esthétiques et l’implication énonciative qu’elles sous-entendent posent une fois de plus la question de l’auteurisme et de la mise en scène documentaire tout en problématisant la notion de vérité, recherchée par la caméra ou construite par la représentation.

David Lipsonchoisit à son tour de faire dialoguer deux films tournés par Frederick Wiseman à plusieurs décennies d’intervalle, Canal Zone (1977) et In Jackson Heights (2015). Traversés par les problématiques de l’assimilation et du repli sur soi des communautés déracinées, ces deux longs métrages témoignent de la constance et de l’unité thématique qui travaillent le cinéaste. En filmant d’une époque à l’autre des phénomènes d’identité communautariste et de résistance culturelle face au joug du pouvoir dominant, Wiseman affine progressivement son regard de cinéaste. David Lipson pointe ainsi les limites du montage didactique à l’œuvre dans Canal Zone, et du point de vue parfois binaire dont il témoigne, quand In Jackson Heights s’efforce de présenter avec finesse une réalité culturelle riche et nuancée. L’usage de la couleur dans ce dernier film, opposé à la froideur du au noir et blanc des débuts, produirait également un écart esthétique permettant mesurer comment le regard posé par Wiseman sur ses sujets d’élection s’est ouvertement chargé d’empathie.

La tension entre ordre et résistance constitue ainsi l’un des grands sujets du cinéma de Wiseman (situations d’oppression, de vexation, d’arbitrage…), travaille leur matière même (narration subliminale, dilatation temporelle, épiphanies), et questionne son propre rapport au médium (suivisme, distance critique ou militantisme). Toutefois partisan d’un dispositif du retrait, Frederick Wiseman prend le soin de ne jamais instrumentaliser les sujets filmés à un point de vue politique extérieur à la réalité du tournage. La société mise en image résiste alors à toute lecture univoque que la mise en ordre du montage pourrait inférer. La caméra et le montage des films de Frederick Wiseman engagent au contraire l’attention dans des expériences poétiques et discursives singulières, partagées entre oppression spatiale et dilatation temporelle, acuité du regard et opacité du discours. Ses films savent ainsi garder trace de l’événement ordinaire résistant au permanent rappel à l’ordre de son déterminisme structurel.

Zachary Baqué et Vincent Souladié

i. Dominique Bergouignan, Yann Lardeau, Serge Le Péron, « Entretien avec Fred Wiseman », Cahiers du cinéma, n° 303, septembre 1979, p. 43-49.

ii Pour une recension quasi exhaustive des rétrospectives Wiseman proposée de par le monde entre 1972 et 2018, voir sur le site de la maison de production Zipporah Films : http://www.zipporah.com/calendar (consulté le 2 novembre 2021)

iii https://www.lacinemathequedetoulouse.com/programmation/cycles/2003 (consulté le 2 novembre 2021).

ivZachary Baqué et Vincent Souladié (organisateurs), Frederick Wiseman : ordre et résistance, Université Toulouse Jean Jaurès, avec les soutiens des laboratoires CAS et PLH, 19 mai 2017. Un compte rendu de la journée est disponible : Youri Borg et Damien Sarroméjean, « Compte-rendu de Journée d’étude : Frederick Wiseman, ‘Ordre et résistance’ », Miranda, n°15, 2017. http://journals.openedition.org/miranda/10953 (consulté le 2 novembre 2021).

v Serge Le Péron, « Présentation », Cahiers du Cinéma, n°303, septembre 1979, p. 42.

vi« Frederick Wiseman : For the Record », du 1 février au 4 juin 2017.

vii Ty Burr, « Frederick Wiseman deserves more than celebration. He deserves to be seen », Boston Globe, 23 mars 2017. https://www.bostonglobe.com/arts/movies/2017/03/23/frederick-wiseman-deserves-more-than-celebration-deserves-seen/E0cWhDflDLA1wH1sM7XPLJ/story.html (consulté le 2 novembre 2021).

viii Sous prétexte d’atteinte morale à l’intimité des patients de l’hôpital psychiatrique de Bridgewater, la cour supérieure du Massachussetts obtint en 1968 que Titicut Follies soit retiré de l’affiche et ses copies détruites. Protégé par le Premier Amendement, Wiseman ne reçut qu’un maigre gain de cause en faisant appel devant la Cour suprême : l’autorisation de diffuser le film dans un cadre scolaire, juridique ou socio-médical uniquement. L’embargo ne fut levé qu’en 1991, à la condition toutefois d’introduire à la toute fin du film un intertitre à décharge : « Changes and improvements have taken place at Massachussetts Correctional Institution Bridgewater since 1966 ». Pour de plus amples informations sur les ramifications judiciaires de cette affaire, se référer à Carolyn Anderson et Thomas W. Benson, Documentary Dillemas : Frederick Wiseman’s Titicut Follies, Carbondale et Edwardsville, Southern Illinois University Press, 1991.

ix  Barry Keith Grant, Five Films by Frederick Wiseman: Titicut Follies, High School, Welfare, High School II, Public Housing, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 2006, p. 3.

x À l’exception de The Garden (2005), son opus inédit, interdit d’exploitation depuis quinze ans pour raisons juridiques.

xi Toni Bentley, « Zip! Looking Closely at a Strip Club », New York Times, 15 janvier 2012, https://www.nytimes.com/2012/01/15/movies/looking-at-frederick-wisemans-documentary-crazy-horse.html (consulté le 2 novembre 2021).

xii Stephen Prince, A New Pot of Gold. Hollywood under the Electronic Rainbow, 1980-1989, Berkeley, University of California Press, p. 383.

xiiiDominique Bergouignan, Yann Lardeau, Serge Le Péron, « Entretien avec Fred Wiseman », op. cit., p. 47.

xiv Laura Fredducci, Séverine Rocaboy, Quentin Mével, Frederick Wiseman, à l’écoute, Levallois-Perret, Playlist Society, 2017, p. 20.

xv Un article récent du New York Times fait de Wiseman un romancier. Mark Binelli, What if the Great American Novelist Doesn’t Write Novels?”, The New York Times Magazine, 15 décembre 2020. https://www.nytimes.com/2020/12/15/magazine/frederick-wiseman-documentaries.html (consulté le 6 février 2021).

xvi « Brilliant documentary film maker [whose style is] so distinctive and refined that no matter how he is imitated by others, he remained its undisputed master ». Tom Kael et Richard Schickel cités par : James Day, The Vanishing Vision: The Inside Story of Public Television, Berkeley, University of California Press, 1995, p. 322.

xvii « [Wiseman is] probably the most sophisticated intelligence to enter the documentary field in years ». Pauline Kael, « The Current Cinema: Madness », The New Yorker, 18 octobre 1969, p. 196.

xviii Voir, entre autres, les dossiers consacrés au cinéaste dans les revues Positif (n.662) et Images Documentaires (n.85/86) en 2016, et dans les Cahiers du Cinéma (n.769) en 2020.

xixPositif y souscrit par exemple dans son numéro de février 1977. Yves-André Delubac, « Frederick Wiseman. Propos », Positif, n° 190, février 1977, p. 16-26.

xx Alan Rosenthal, The New Documentary in Action: A Casebook in Film Making, Berkeley, University of California Press, 1972, p. 66.

xxi Serge Le Peron, « Présentation », op. cit., p. 42.

xxii Camille Bui, « Wiseman, curiosité infinie », Cahiers du cinéma, novembre 2016, n° 727, p. 81.

xxiii Serge Le Péron, « Wiseman ou le cinéma américain vu de dos », Cahiers du cinéma, n° 330, décembre 1981, p. 43.

xxiv Serge Le Péron, « Présentation », op. cit., p. 42.

xxv Pierre Legendre, « Les ficelles qui nous font tenir », Cahiers du cinéma, n° 508, décembre 1996, p. 48.

xxvi Thierry Jousse, « Wiseman, un cartographe du pouvoir », Cahiers du cinéma, n°541, décembre 1999, p. 54.

xxviiIbid.

xxviii C’est d’ailleurs le titre d’un chapitre de l’ouvrage de Philippe Pilard qui donne la parole au cinéaste : Frederick Wiseman, chroniqueur du monde occidental, Paris, Cerf-Corlet, 2006, p. 31-36.

xxix Barry Keith Grant, Five Films by Frederick Wiseman, op. cit.

xxx Philippe Pilard, Frederick Wiseman, chroniqueur du monde occidental, op. cit.

xxxi Barry Keith Grant, Voyages of Discovery: The Cinema of Frederick Wiseman, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1992.

xxxii Philippe Pilard, Frederick Wiseman, chroniqueur du monde occidental, op. cit.

xxxiii Maurice Darmon, FrederickWiseman : chroniques américaines, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.

xxxiv Contre-exemple récent, Camille Bui propose une analyse dense, ouverte et non linéaire de l’œuvre : Camille Bui, « Wiseman, curiosité infinie », op. cit., p. 80-88.

xxxv Par exemple Maurice Darmon distingue quatre chapitres dans la carrière wisemanienne : « Les films de formation », « Hors les murs », « Dans la patience du temps », « Pour tout l’amour du monde ». Maurice Darmon, op. cit.

xxxvi François Laplantine, De Tout petits liens, Paris, Fayard, 2003.

xxxviiIbid, 4e de couverture.

xxxviii Erving Goffman, Asylums: Essays on the social situation of mental patients and other inmates, New York, Anchor Books, 1961.

xxxix « Lightweight cameras […] allowed the filmmaker to become a fly on the wall, and to record exactly the kinds of interaction, in institutional settings, that Goffman analyzes in The Presentation of Self. The Mozart of the form is Frederick Wiseman, whose spectacular and controversial debut, Titticut Follies (1967), about the Bridgewater State Hospital in Massachusetts, makes an ideal visual analog to the sociological studies Goffman made of asylums ». Louis Menand, « Some Frames for Goffman », Social Psychology Quarterly, vol. 72, n°. 4, décembre 2009, p. 299. A propos de la perspective interactionniste et le parallèle Goffman/Wiseman, voir aussi Sophie Bruneau et Sarah Sékaly, « A propos de Frederick Wiseman », Communications, n°71, 2001, p. 225-232.

xl Wiseman relate de manière sarcastique sa rencontre avec Erving Goffman : « De Goffman, j’ai essayé de lire Asylum deux fois mais je ne suis pas allé plus loin que les cent premières pages. J’ai rencontré Goffman une fois. Un de mes amis l’avait invité dans la salle de montage lorsque je travaillais sur Titicut Follies. Je montais la scène durant laquelle un gardien maquille un prisonnier décédé, pour sa dernière cérémonie. La réaction de Goffman a été assez amusante. Il a regardé cette scène puis il a dit : « Ah, ça, c’est typique de ce qui se passe dans les prisons. Vous voyez comme le gardien ne parle pas au prisonnier… Il le traite comme une non-personne… ». Il a continué pendant quinze minutes. Il ne s’était pas rendu compte que le prisonnier était mort ! ». Frederick Wiseman, Laetita Mikles, « Filmer la mise en scène du quotidien », L’Homme & la Société, 2001/4, n° 142, p. 164.

xliLouis Althusser,« Idéologie et appareils idéologiques d’État. (Notes pour une recherche) »La Pensée, n°151, juin 1970.

xlii Alan Cholochenko, « The border of our lives, Frederick Wiseman, Jean Baudrillard and the question of the documentary », International Journal of Baudrillard Studies, volume 1, n° 2, juillet 2004.

xliii Sharon Snyder et David Mitchell, « The Visual Foucauldian: Institutional Coercion and Surveillance in Frederick Wiseman’s Multi-handicapped Documentary Series », Journal of Medical Humanities, Vol. 24, nos. 3/4, Hiver 2003.

xliv Michel Foucault, Surveiller et Punir, Paris, Gallimard,1975.

xlv « …using the word ‘institutions’ to cover a series of activities that take place in a limited geographical area with more or less consistent group of people being involved. ». Alan Rosenthal, The New Documentary in Action: A Casebook in Film Making, op. cit., p. 69.

xlvi Michel Foucault, Surveiller et punir, op. cit., p. 139.

xlviiFrançois Laplantine, De Tout petits liens, op. cit., p. 44.

xlviiiIbid., p. 27.

xlix « If I were to name the things that have influenced me, I don’t know how accurate I would be. The things I would select first would be the Marx Brothers and Buster Keaton ». Benito Vila, « Frederick Wiseman: the director who makes the ordinary extraordinary », Pleasekillme, 25 mars 2020, https://pleasekillme.com/frederick-wiseman/ (consulté le 2 novembre 2021).

l Le traitement filmique des corps cloitrés dans Titicut Follies a pu être rapproché de certaines fictions horrifiques, comme la série American Horror Story : Guillaume Labrude, « Dans la série « American Horror Story », l’horreur est humaine », The Conversation, 31 octobre 2018, https://theconversation.com/dans-la-serie-american-horror-story-lhorreur-est-humaine-105618 (consulté le 2 novembre 2021).

li Le court-métrage qu’il signe dans le film collectif I Miss Sonia Hennie (1971) et La Dernière Lettre (2002), sa seule œuvre de fiction, constituent les deux seules exceptions à la règle.

lii « […] there were some subjects that I wanted to do that I felt had to be in color, such
as the school for deaf and blind children, since the fact color is absent in the
lives of blind children made the presence of color in the film important. Or in
The Store (1983), the color of the clothes and the theatrical way they
were displayed became an element in the story. But in some films, for instance
Ballet (1995), I wanted to shoot in black and white because I thought it
would be more abstract and stylized ». Frederick wiseman, « A Discussion with Frederick Wiseman and Robert Kramer. Questions posed by Aaron Gerow and Fujiwara Toshifumi », entretien réalisé lors du Yamagata International Documentary Film Festival 1997, Derives.tv, http://derives.tv/a-discussion-with-frederick-wiseman-and-robert-kramer/ (consulté le 2 novembre 2021).

liiiBarry Keith Grant, Voyages of Discovery: The Cinema of Frederick Wiseman,op. cit.

livBarry Keith Grant (ed.), Five Films by Frederick Wiseman, op. cit.