Vos films mettent souvent en scène des enfants dont l’univers se forge autour des images qu’ils voient à la télévision, souvent abandonnés devant elle par leurs parents. A quoi ressemblait votre propre enfance ? Comportait-elle aussi des greniers, des sous-sols, des vaisseaux spatiaux et des monstres ?
Il y avait effectivement des greniers et des sous-sols. Les vaisseaux spatiaux et les monstres se trouvaient seulement à l’écran. A part l’année où j’ai attrapé la polio (en 1954), ce fut une enfance rayonnante. Je dessinais des cartoons et allais au cinéma chaque dimanche pour en voir une dizaine, ainsi que deux films. Je pouvais voir aussi bien des choses assez anciennes comme Le magicien d’Oz et Tarzan, ou des nouveautés dans le western ou la science-fiction.
Quel rôle a joué le cinéma dans votre enfance ?
Je regarde des films depuis toujours, peut-être grâce à mon grand-père qui m’a fait découvrir les westerns bis à la télé. Dans mon entourage, j’étais le seul à aller au cinéma tous les week-ends. On n’a eu une télévision qu’assez tard, mais elle m’a hypnotisé de la même manière. Il y avait peu de chaînes mais beaucoup de programmes pour enfants, constitués le plus souvent de comédies muettes.
Vos films représentent presque toujours la province américaine. Pourquoi ? Parce que la tension et le danger se cachent plus facilement derrière un décor familier ?
C’est le monde dans lequel j’ai grandi. Les 50’s n’étaient pas forcément l’époque coincée et insouciante que l’on se représente parfois. Il y avait de nombreuses peurs et inquiétudes profondément ancrées, notamment rien moins que l’ombre menaçante de la bombe H, et de la catastrophe imminente. Et des films pour adultes comme Derrière le miroir ou La nuit du chasseur étaient projetées à des matinees pour enfants qui faisaient rentrer chez eux un grand nombre d’entre nous plutôt perturbés, croyez-moi.
Dans Piranha un endroit familier, la rivière dans laquelle les enfants se baignent et les adultes bronzent devient un lieu de carnage. Peut-on y lire une métaphore de la culture de masse qui, trop imprudente, se retrouve soudain face à la violente réalité des choses ?
J’ai toujours lu Piranha comme un film sur la guerre du Vietnam qui contaminerait l’Amérique.
Les banlieusards est construit comme un champ de bataille. Comme dans un film d’Ozu, la vie quotidienne se trouve face à la guerre. Les gens se contrôlent les uns les autres, personne ne vit sa vie mais chacun se nourrit de celle des autres, comme des vampires. Voyeurisme (passif) et contrôle mutuel sont-ils les schémas principaux que vous pointez dans notre société ?
Déjà, c’est la première qu’on compare Les banlieusards à Ozu ! J’ai eu quelques voisins très étranges quand j’étais gosse, et quand j’en parle autour de moi je me rends compte que je suis loin d’être le seul. Du coup, quand les producteurs m’ont apporté ce qu’ils considéraient comme une parodie de Fenêtre sur cour, j’y ai vu des choses bien différentes.
Vous développez aussi cette idée dans Panique à Florida Beach, je pense à cette terrible scène d’exercice à l’école : pour assurer la sécurité de ses citoyens, le pouvoir exerce une discipline corporelle pour contrôler ses étudiants.
Cette sonnerie appelant le « Couché! Couvert ! » est une représentation à peine exagérée du non-sens que représente l’acceptation de l’autorité à cette période. Il n’y avait pas un seul gamin qui n’était pas d’accord pour dire à quel point il était stupide de se recroqueviller dans les couloirs en cas d’attaque atomique. Pour autant, on était forcés de le faire. C’est donc devenu une sorte de routine. Je me rappelle que l’école était très rigide et autoritaire en ces temps-là. Je me demande si ça a changé.
Aujourd’hui, il y a la thématique récurrente de l’Amérique post-11 septembre : le déclin des droits civils, la sauvegarde de la sécurité nationale…
Certains pensent que le 11 septembre est devenu une excuse pour réduire les droits de ceux qui pourraient bénéficier d’un meilleur contrôle gouvernemental. Nous savons déjà qu’il s’agissait d’un prétexte pour entamer une guerre illégale.
Il me semble que depuis votre premier film, votre travail est imbibé d’une grande passion pour le cinéma. Quelle relation entretenez-vous avec l’idée de tradition dans le genre, qu’il s’agisse de comédie, d’horreur ou de science-fiction ? Les considérez-vous comme des sources d’inspiration ? Comme des objets que vous voudriez restructurer ? Des signes, des citations ?
Les films sont la base d’un grand nombre de mes œuvres essentiellement parce qu’il s’agit de ma plus grande passion, et que j’ai beaucoup à dire sur le sujet. Si je réalisais des westerns, mes personnages liraient certainement des romans de gare. Toutes ces années, je me suis inspiré d’un genre ou d’un autre, mais surtout et toujours de réalisateurs ou de scénaristes qui m’ont marqué. Tashlin, Wilder, Lubitsch et Sturges pour la comédie, Tourneur, Bava, Whale, Browning, Fisher, Corman ou Arnold pour l’horreur et la SF. Et sinon, évidemment, les usual suspects : Hitchock, Welles, Ford, Fellini, Hawks, Kubrick. J’ai aussi beaucoup de respect pour des noms un peu moins connus : John Farrow, Robert Florey, Roy William Neill, John Sturges, Joseph H. Lewis et d’autres encore.
William Castle a grandement inspiré le personnage de John Goodman dans Panique…
Castle en est certainement le prototype, mais il n’aurait jamais réalisé un film de monstre comme Mant ! Le personnage est un amalgame de Castle, Corman, Arnold et Berth I. Gordon, sans oublier de mentionner des bonimenteurs plus précoces comme David F. Friedman.
Qu’est-ce qui vous fascine chez ces réalisateurs, dont la plupart sont encore considérés comme mineurs ? Le manque de moyen contrastant avec leur grande inventivité ?
Regardez Ulmer et son incroyable capacité à extraire de grandes choses d’un budget dérisoire dans des films comme Détour ou The Man From Planet X. C’est un don très rare que d’arriver à livrer un excellent travail malgré des circonstances financières difficiles, et beaucoup de réalisateurs estampillés B excellent là-dedans.
Jack Arnold a également été une source d’inspiration pour vous ?
Assurément. Je l’ai bien connu. Sa fille joue dans Hurlements. J’ai failli être son assistant-réalisateur sur un remake qu’il aurait réalisé de sa Créature du lac noir. Malheureusement il a perdu une jambe, et le film ne s’est jamais fait. Son chef-d’œuvre est sans doute L’homme qui rétrécit.
Arnold a aussi réalisé de très bons westerns. Vous-même, quelle relation entretenez-vous avec ce genre ?
J’adorerais faire des westerns, mais je suis né un peu trop tard. On ne s’en rappelle pas forcément, mais quand j’étais gamin c’était le genre le plus populaire. Le western était partout à la télévision autant qu’au cinéma, mais les temps ont changé, et très vite les camions, voitures et autres motos ont remplacé les chevaux. Sam et Sergio (Peckinpah et Leone, ndlr.) sont arrivés et le western a commencé à aborder la Mort de l’Ouest et la corruption de l’Amérique. Certains parmi les meilleurs westerns ont été fait à la fin des années 60 et dans les années 70, mais dans les années 80 c’était terminé.
Vous avez travaillé dans le genre à Hollywood tout en conservant une certaine indépendance. Les genres sont pétris de conventions et de motifs, de limites, mais sont aussi pleins de ressources, de possibilités d’y introduire des variations. Pouvez-vous nous parler de ce paradoxe, que de rares réalisateurs parviennent à transcender ?
Conserver sa personnalité de metteur en scène au milieu du contrôle des studios relève du funambulisme. Vous devez masquer vos excentricités entre les lignes (entre les plans, si je puis dire). Même si, au fond, faire un film de genre peut vous permettre une plus grande liberté que si vous abordiez un sujet plus conventionnel parce que vous employez une forme distincte et une identité singulière.
Corman et Spielberg ont été très importants pour votre carrière, pouvez-vous nous dire en quoi ?
Sans Roger, j’aurais commencé en tant qu’apprenti monteur et aurais fait mon petit chemin jusqu’à la réalisation. Je ne serais peut-être même pas parvenu aussi loin. Or, j’ai fait mon premier film un an après mon arrivée à Hollywood. Et sans la confiance que m’a témoigné Spielberg, je n’aurais jamais eu l’opportunité de rompre avec le ghetto que constitue la production de séries B pour un cinéma plus grand public. Ce qui fait qu’effectivement, je leur dois beaucoup à tous les deux.
Etait-ce difficile de conserver votre identité en travaillant avec Spielberg ?
Au début j’ai eu peur que ce soit le cas, et ça ne l’a pas été. Il est très attaché à l’idée de collaboration, au fait de vous permettre de faire votre film, même si son nom s’y retrouve lié via son statut de producteur.
Dans votre montage, vous créez souvent une collision entre différentes choses ou idée, pour asséner un choc à votre spectateur.
Le style Samuel Fuller ! Au début je pensais monter moi-même mes films comme Fuller le faisait, mais j’ai découvert que les studios considéraient qu’il s’agissait là d’un trop grand contrôle laissé à une autre personne qu’à eux-mêmes. Je n’ai donc monté aucun de mes films après Hurlements. Mais j’ai eu de la chance concernant mes choix de monteurs tout au long de ma carrière, et j’ai toujours considéré la postproduction comme l’un des paliers les plus créatifs sur un film. Mon monteur actuel, Marshall Harvey, a travaillé sur chacun de mes films depuis Les banlieusards.
Vous avez travaillé avec un certain nombre de scénaristes, pourtant les thèmes se répondent. Dans quelle mesure cela relève-t-il de votre propre fait ?
J’essaie de ne concrétiser que des films qui m’intéressent et que j’aimerais voir en allant au cinéma. En cela, il est logique que les thèmes soient plus ou moins similaires à chaque fois, puisque la plupart du temps je ne mets en scène que des scénarios qui m’ont intéressé d’une manière ou d’une autre. J’ai œuvré dans un nombre limité de genre, mais j’ai toujours fait en sorte d’y accoler des choses personnelles.
Ai-je raison en disant que l’une de vos obsessions récurrentes est peut-être la critique du monde des médias ? La télévision et les journaux qui transforment notre réalité en image dans le but de piéger enfants et adultes dans un monde fictionnel qui remplace le monde réel ?
Je ne dirais pas que vous avez tort, mais ce n’est pas tout à fait la manière dont je vois les choses. Les médias intègrent une plus grande partie de la vie quotidienne aujourd’hui que lorsque j’ai grandi, et pas forcément pour le meilleur. L’idée sillonne effectivement mes films.
La critique sociale de Hurlements, passée à travers le médium télévision, devient un spectacle, le message du journaliste ne sonne pas vrai. Je pense aussi à The Second Civil War, où une action humanitaire n’est au final qu’une histoire d’ambition.
Dans Civil War, l’ironie vient de ce que même avec toutes ces avancées technologiques, on ne parvient pas à communiquer les uns les autres. La guerre elle-même est provoquée par un simple petit malentendu. Dans Hurlements, l’ironie de la chose est que lorsque l’horreur est télévisée et l’histoire révélée au grand jour, elle est discréditée.
En cela, pensiez-vous à Marshall McLuhan (« the medium is the message ») ou Neil Postman, qui a fait de nombreuses recherches sur les effets de la télévision sur le comportement des enfants ?
Je connais ces chercheurs mais ils n’ont jamais constitué autre chose qu’un lointain background pour moi.
Jonathan Rosenbaum a écrit que le dernier film de Frank Tashlin possède des ressemblances avec vos propres films. Ces œuvres sont des critiques de la pop culture américaine, tout comme les vôtres.
Etre comparé à Tashlin est toujours un grand honneur pour moi, puisque son travail fait partie de mes grandes influences, au même titre que Mad Magazine. Artistes et modèles a été une révélation quand j’étais un accro aux comics de neuf ans.
The Hole fait apparaître un personnage de South Park, de nombreux personnages de cartoons sont présents dans vos films, et jusqu’à Chuck Jones. Rouvez-vous le cartoon d’aujourd’hui différent de celui d’hier ? Plus vulgaire, plus agressif ?
Evidemment, une inévitable dégradation de la culture est toujours la suite logique d’une innovation. Et les cartoons ne font pas exception. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, une certaine effronterie a accompagné cette époque turbulente, notamment à la Warner Bros., qui a tenu jusqu’au bout de ce qu’on appelle aujourd’hui l’âge d’or du début des années 60. Et, comme la société a connu d’autres guerres et d’autres discordes par la suite, la censure s’est assouplie, et les comics underground, Ralph Bakshi, Beavis and Butthead, Les Simpson puis South Park sont apparus. Plus rien n’était tabou, et pas mal de cartoons n’étaient plus pour les enfants. De toute façon, beaucoup de héros de cartoons traditionnels incarnent une critique de l’ordre établi. Une grande part de cette attitude remonte aux Marx Brothers et à Chaplin.
Dans vos films, les monstres ont toujours quelque chose d’humain. Il me semble que le combat est souvent de ne pas laisser l’Homme devenir un animal. C’est flagrant dans Hurlements, ça l’est aussi dans Gremlins. Ces créatures qui imitent un comportement de consommateur, dévorant tout ce qu’on place sous leur dent ou devant leur œil, c’est nous, n’est-ce pas ?
Bien sûr, il y a un monstre en chacun de nous. La civilisation est une mince couche de vernis et nous avons créé les lois et la religion pour la maintenir. Les Gremlins sont effectivement des consommateurs, mais au même titre que les loups-garous, les zombies ou n’importe quelle créature qui consomme des gens. Ou des créatures qui se consomment entre elles. Nous autres, on se contente de consommer les ressources de la planète.
Selon Bill Krohn, vous faites une satire de notre monde, et votre solution, ou plutôt votre échappatoire, est l’apocalypse, qui mènerait à la révélation. Vous révélez l’abysse au-dessus de laquelle nous marchons. Que pensez-vous de cette interprétation ?
Impossible de nier le fait que beaucoup de mes films évoquent l’apocalypse. Cependant, je ne l’ai jamais vraiment planifié, ce doit être la gueule de bois de l’enfance que j’ai passé, imbibée de cette peur de la bombe atomique. Sans oublier qu’en plus de ça, j’ai survécu à la rubéole, la scarlatine et la polio ! Et je ne parlerai même pas de programmes comme Andy’s gang à la télé ! Mais pour revenir à cette histoire d’apocalypse, je ne pense pas qu’elle résolve beaucoup d’interrogations, au contraire, elle en engendre.
Vous abordez dans The Second Civil War l’idée d’immigration, sujet fondamental pour la culture américaine. Les émeutes et le malaise en Amérique du Nord, en Europe et surtout en Italie, ont été interprétés avec crainte : les Européens ont peur que les Nord-Américains arrivent chez eux. Qu’en pensez-vous ?
Les problèmes posés dans ce film n’ont pas disparu depuis 1997, lorsqu’il est projeté dans des festivals je suis à chaque fois surpris de sa perpétuelle contemporanéité. Ce qui concerne l’immigration a bien sûr changé depuis, mais il y a encore des choses qu’on a abordées qui arrivent aujourd’hui même tout autour du monde. Sur le tournage, à chaque fois que nous ouvrions un journal, nous pouvions y lire un élément qu’on allait tourner dans la journée.
Les politiques voudraient exporter la démocratie dans le monde, alors qu’il vaudrait peut-être mieux de commencer par réfléchir sur notre démocratie, et sur ses limites.
Je pense que l’Histoire américaine récente est un modèle trop triste pour qu’on le dissémine partout dans le monde.
Souvent la fin de vos films est ironique. Gremlins 2 et Small Soldiers s’achèvent sur le triomphe du capitalisme, qui trouve le moyen de relancer ses activités malgré ou grâce à ce qui vient de se produire.
Tu peux le voir comme de l’ironie, mais c’est surtout une manière de pointer le fait que le capitalisme est là pour rester, et qu’on ne peut rien y faire. Regardez autour de vous et revenez me dire si les bons gagnent souvent. C’est l’une des raisons pour lesquelles on continue d’aller au cinéma, là où nos fantasmes de justice sont si souvent renforcés. Il y avait un dicton à Hollywood : le méchant paie le prix et le bon prévaut. C’est un bel idéal mais les réalités de la société actuelle ont introduit dès les années 1960, entre James Bond et l’Homme sans nom (personnage joué par Clint Eastwood dans la trilogie du dollar de Sergio Leone, ndlr.), un archétype de l’anti-héros, avec lequel nous sommes familiers aujourd’hui.
L’imagination, dans vos films, aide à combattre un monde réel trop cruel, trop empli de tristes images.
L’un des attraits du cinéma est certainement l’escapisme dans un monde que nous aimerions visiter et qui est bien plus attirant que celui dans lequel on vit. Mais quand les lumières se rallument, on ne peut qu’espérer que le monde que l’on vient de voir puisse nous aider à faire face à celui dans lequel nous vivons réellement.
Pouvez-vous nous parler de vos projets futurs ?
Le paysage a considérablement changé depuis que j’ai commencé dans le cinéma, en 1974. Mon dernier film n’est même pas sorti aux Etats-Unis. J’ai vu que le nouveau John Carpenter n’est sorti qu’en VOD, et que le dernier Peter Weir repose sur une étagère depuis je ne sais combien de temps, attendant d’être distribué. Alors bien sûr, j’ai des projets, plusieurs, mais l’un d’entre eux seulement trouvera-t-il des fonds ? Qui sait ?
Quel cinéma aimez-vous aujourd’hui ?
Pour la première fois de ma vie il est difficile pour moi de trouver un week-end avec un film nouveau que j’aurais envie d’aller voir. Une surabondance de suites, de remakes illégitimes et de clones de super-héros m’ont laissé un peu froid. En ce moment je suis moins attiré par les films de studios que par certaines productions indépendantes et l’offre déclinante des imports étrangers. Dans les années 60 et 70 on était inondés d’imports de films aussi bien de genre que d’auteurs, et on était beaucoup familiers avec les stars et les réalisateurs européens. Aujourd’hui peu de films étrangers sortent en salles aux Etats-Unis. Le plus souvent, on les achète pour en faire un remake.
Votre dernier film est en 3D. Comment voyez-vous l’avenir en relation avec ces nouvelles technologies ?
Je pense que la 3D peut être un bon outil, comme la couleur, l’écran large ou la stéréo avant elle. Mais il y a des inconvénients, principalement dus à ce qu’on nous fait passer pour de la 3D. Beaucoup de films tournés en 2D sont convertis ensuite n’importe comment, ce qui altère notre perception de la 3D. Il faut cadrer, tourner, penser l’intégralité de votre film en fonction de la 3D, pas pendant la postproduction. Je pensais au début que la 3D avait un glorieux avenir devant elle. Aujourd’hui, je n’en suis plus si sûr.
Dans Hurlements, il y a une scène dans laquelle John Carradine se plaint du fait que plus personne ne fait attention à lui. Est-ce une référence métafilmique aux nombreux films classiques dans lesquels a joué Carradine, et fait qu’à l’époque de votre film, les gens ne le connaissaient plus ?
Oui, sans doute. Personnellement, après l’avoir découvert dans des films d’horreur Universal, j’ai été estomaqué par sa performance dans Les raisins de la colère. Quand je l’ai approché il acceptait n’importe quel boulot qu’on lui proposait, mais j’ai quand même été honoré qu’il accepte de participer à mon film. J’ai essayé, dans ce film, d’établir une connection entre le cinéma classique Hollywoodien et ce qu’il était devenu dans les années 80. Je me rappelle que des gamins sur le tournage me demandaient qui jouerait dans le film et le leur déballait ce que je considérais comme une liste très cool d’acteurs. Evidemment, ils n’avaient jamais entendu parler d’un seul d’entre eux.
D’excellents critiques louent votre cinéma : McBride, Krohn, Rosenbaum. Qu’en pensez-vous ? Par ailleurs, êtes-vous touché par de mauvaises critiques ?
Personne n’aime les mauvaises critiques, mais vous devez vous rappeler du fait que quelque soit ce qu’untel pense d’un film, celui-ci existe de lui-même. Il peut être ou ne pas être apprécié en son temps, mais l’Histoire aura peut-être le mot de la fin, comme c’est arrivé tardivement à de nombreux films. J’ai eu une grande chance que plusieurs cinéastes passionnés aient pu aimer mes films, et leur trouver des qualités. Au contraire, de très mauvaises critiques peuvent être mémorables. Vincent Canby a par exemple écrit sur Les banlieusards : « Aussi vide que peut être ce film, il n’arrive pourtant jamais à représenter le vide. »
Vous avez aussi rédigé des critiques de films, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre manière d’analyses les films ? Plus généralement, qu’attendez-vous d’un film ?
J’ai commencé à écrire des critiques de films quand j’avais 13 ans, âge durant lequel je regardais des films d’une manière très différente d’aujourd’hui. J’ai récemment jeté un œil à certaines de ces critiques, elles m’ont souvent fait grimacer. Une fois que vous avez réalisé un film, vos perspectives changent radicalement, et je n’aurais jamais été aussi dédaigneux si j’avais eu la moindre idée de ce représentait le simple fait d’achever un seul film. J’ai redécouvert des réalisateurs et des films que j’avais sous-évalué pour y découvrir des qualités que mon immaturité m’empêchait de voir à l’époque. L’avant-gardiste TheAmerican Cinema d’Andrew Sarris classe un certain nombre de réalisateurs en fonction de la manière dont il les a reconsidérés plus tard. On change en grandissant. Regarder 8 ½ de Fellini adolescent, puis le revoir ensuite tous les dix ans permet de voir à quel point notre situation influe sur le film que l’on regarde. Ajoutez à cela le fait qu’entretemps vous êtes devenu réalisateur, et vous aurez la mesure exacte de la manière dont le temps a pu changer ma perception.
Un mot sur votre prochain film ?
J’espère qu’il y en aura un.
Dernière question, et pas des moindres : Pourquoi Dick Miller est votre seul acteur absolument récurrent ?
J’ai beaucoup aimé Dick dans plusieurs films de Corman entre les années 50 et 60, donc quand j’ai eu la chance d’en faire un moi-même, Dick était rien moins que le nom le plus connu de mon propre film. On s’est bien entendus et il est devenu une sorte de talisman pour moi au fil des années, tant professionnellement qu’humainement. A chaque fois que je lis un scénario, je cherche le rôle de Dick. Par chance, c’est le genre d’acteur qui tirera le maximum de son rôle, même s’il s’agit d’un simple caméo. Il s’est plutôt retiré aujourd’hui mais saute sur l’occasion quand je lui demande de tourner pour moi. Parce que, tout simplement, je crois qu’il adore ça !
Propos recueillis par Toni D’Angela
Traduction par Julien Oreste
First publication: Torso, n°8, 2011
Merci à Adrien Clerc et Torso