Dossier coordonné par Judith Langendorff et Benjamin Léon
“Notre voyage à la frontière du monde obscur nous révélera le paradoxe d’un univers dont la lumière nait de l’obscurité, avant d’y retourner. Le paradoxe de nos origines.
David Elbaz, À la recherche de l’univers invisible, Matière noire, énergie noire, trous noirs
© Under The Skin (2013) de Jonathan Glazer.
Cette citation de l’astrophysicien David Elbaz concernant l’avènement de la « matière noire » – invisible mais nécessaire pour expliquer le mouvement des galaxies – m’évoque quelques images du film Under The Skin (2013) de Jonathan Glazer.
En Écosse, au volant d’une camionnette, Laura (Scarlett Johansson), une extraterrestre à l’apparence humaine, séduit des hommes. Elle les fait monter dans son véhicule et les entraîne dans une maison sordide où elle les incite à se dénuder. Le corps de l’actrice hypnotise par ses gestes et son inexpressivité à mesure qu’elle choisit ses proies dans l’espace désertique des highlands écossais. À un certain moment, son corps dénudé s’avance vers un homme qui se dévêtit. L’espace devient noir, il n’y a plus de perspective ni d’horizon, seul transparait la blancheur de la chair. Tandis que l’homme s’avance vers elle et qu’elle recule, il s’enfonce et disparaît peu à peu dans le sol devenu liquide. Tel un trou noir, les corps sont aspirés à défaut d’être pénétrés.
Au-delà de la réflexion posée par Glazer sur le rapport qu’entretient l’actrice avec son personnage de fiction, c’est bien la mise en place d’un espace travaillé par le noir comme substance totalisante qui est interrogée. À la fin du film, il ne reste d’ailleurs à voir que l’écran noir, ultime image d’une métamorphose qui passe par l’anéantissement total de l’espace sensible. Dans le film, le nocturne est travaillé comme une zone tampon permettant le passage dans et vers un autre espace où les oppositions binaires se confondent : des lueurs nocturnes où Laura avance sur les routes d’Ecosse à la pièce blanche surexposée des corps qui s’allongent pour finir dans la matière noire qui fait disparaître les corps.
À l’image du dossier que nous vous proposons, le nocturne se montre comme étant un lieu instable, mystérieux et insaisissable. Des chercheurs issus de différentes disciplines (théorie du cinéma, photographie, arts plastiques, littérature, culture visuelle) interrogent la phénoménologie du nocturne et de ses atmosphères.
Benjamin Léon
Nocturnes, Nocturne
Judith Langendorff, Expériences du nocturne au cinéma et en photographie
Aux sources du nocturne
Marie Gueden, « Nocturnes lumineux » : Loïe Fuller et les attractions serpentines
Fictions nocturnes
Louis Daubresse, Le silence comme marque du nocturne
Guilain Chaussard, Étreintes rêveuses : les nuits oniriques de Hollywood
Nuits photographiques
Julien Milly, Les nuits éclairées, ou la fiction dérobée
La nature nocturne
Charlotte Beaufort, Du crépuscule à l’aube, le cinéma nocturne de James Turrell
Marianne Pistone, Jungle : intérieur/NUIT. Le cinéma noctambule d’Apichatpong Weerasethakul
Politique du nocturne
Camille Bui, Documenter la « vie sans témoin ». Portraits de la jeunesse et expériences du nocturne
Au seuil du nocturne
Sarah Leperchey, No Home Movie : une nuit « diurne », entre surface et profondeur
Will Straw, Thresholds and transitions: credit sequences and the night
Le noir et ses limites
Valérie Cavallo, Aux limites du visible, les nuits photographiques d’Evgen Bavcar