« Quelle histoire attend là-bas sa fin ? »
I. C.
1.
Jean Louis Schefer en aura fait antienne tout au long de Questions d’art paléolithique (et ailleurs) : les fresques pariétales initient l’histoire des images peintes (ou gravées) en produisant l’irreprésentabilité de la figure humaine. « Mon hypothèse de base est l’absence de la figure humaine, c’est-à-dire son impossible rivalité avec la force figurative des animaux[1]. »L’art des grottes moustériennes, aurignaciennes, solutréennes, magdaléniennes « ne peut penser la figure humaine comme les autres formes[2] ». En l’occurrence celles animales. Une telle affirmation conduit Schefer – après d’autres (Leroi-Gourhan) – à prendre le contrepied des commentaires élucidant dans des figures, très rares, d’aspect anthropomorphique – homme-oiseau ithyphallique de Lascaux, homme-bison à l’arc musical des Trois-Frères, par exemple – des sorciers, ou chamanes (Kirchner, abbé Glory Jean Clottès), c’est-à-dire un « homme déguisé[3] », et à y déceler plutôt un avatar thérianthropique d’« hybridation animale[4] »de la forme humaine. L’hypothèse du chamanisme, de la pratique des médiations entre les membres d’un même clan et les esprits surnaturels, présente foncièrement, aux yeux de Schefer, un vice double : historiciste – essentialisant un préjugé de type romantique (disons, hölderlinien) supposant une plus grande proximité antérieure des dieux et des hommes ; scientiste – traduisant un positivisme douteux en attribuant aux premiers hominidés une forme de naïveté originelle alors que rien ne permet d’affirmer, si ce n’est notre ethnocentrisme, que de telles populations étaient plus commençantes que finissantes[5].
Les hommes préhistoriques peignent uniquement des animaux de leur environnement immédiat. La figure humaine n’y intervient jamais que comme carence : « figurer les hommes comme des êtres morphologiquement instables, comme des hybrides, des carrefours morphologiques entre les espèces[6] » ; témoignage de lucidité intuitive d’une espèce que rien ne saura expliquer ? Ce trait, Le Temps dont je suis l’hypothèse rappellera qu’il est sera l’« idée résurgente qui a nourri toutes les poétiques : les hommes sont un milieu et un balancier entre les espèces, son passé, son œuvre ou la mémoire dont les rêves font la ritournelle ; rêve impérieux qui rabat les espèces les unes sur les autres, ou les fait s’emboîter[7] ». Mais cette peinture animalière n’est pas du tout un acte de ressemblance. Il ne s’agit nullement de répéter en maniaquerie le réel par des images. « La première fonction des figures n’est pas de restituer ou de présenter la réalité (d’en faire une représentation) – ce point de vue est celui d’un usager de l’art du xixe siècle (ou de l’idéologie dominante de cet art). Il serait absurde d’imaginer que les Magdaléniens représentaient un échantillon de la “réalité” parce qu’ils l’aimaient, la désiraient, la craignaient ou la révéraient[8]. »À y regarder de plus près, on notera deux particularités graphiques cruciales :
1/ D’une part, les traits du dessin relèvent moins de la description que de la déformation des lignes, des puissances mobiles et mobilisatrices des figures : « jeu de déformation, d’anamorphoses, et de métamorphoses[9] ». Schefer précise encore : « On ne peut, par ailleurs, tout à fait rejeter l’idée que le jeu de simplification des mammouths de La Baume-Latrone ne soit justement un processus de remplacement de l’identification de la forme type par des combinaisons de lignes qui ne gardent plus de caractère descriptif. […] Ce n’est donc pas en tant que bovidés, équidés, cervidés que de tels animaux figurent dans un jeu d’équilibre avec d’autres “animaux”, mais en tant que leur forme synthétique est mouvement, repos, puissance, c’est-à-dire individualisation d’une “force”[10]. »
2/ D’autre part, les animaux représentés y sont une restriction du réel « excluant la majorité des choses côtoyées, utilisées, consommées[11] », pas de contexte, mais aussi à quelques espèces (bison, cerf, mammouth, parfois oiseau…), alors que ceux connus ou familiers étaient bien plus nombreux. Il y a donc là un acte de soustraction signalant plus « l’interprétation de fonctions[12] » (associées à de tels mammifères), « l’exposé d’un système[13] » que le souci naturaliste de la restitution du réel. « Formellement, nous avons à faire à un système d’interprétation (du “monde”, du réel, des relations de forces) par le moyen le plus économique de combinaisons restreintes de figures limitées, suffisamment lisibles là où il le faut, laissant jouer ailleurs des entrelacs de figures à la limite de la lisibilité et de la pertinence référentielle[14]. »
Les images pariétales se signalent d’emblée, dès la naissance de l’art, par la vectorisation figurale qui les institue en pensée du monde : les « protocoles d’exécution et d’arrangement des formes[15] », la« manipulation géométrique de formes, schématisables sur leur type[16] », la « signalétique du “réel”[17] », la « forme d’abstraction »[18] y porte sur « l’ensemble des formes qui en sont l’interprétation, autrement dit le langage[19] ». Dès lors,« les figures n’ont pas une fonction de représentation mais d’interprétation. […] Les configurations de figures paléolithiques forment des structures d’interprétation, ce ne sont pas des ensembles qui ont fonction figurative[20]. »Les figures sensibles déterminent des réseaux et des lainages de symbolisation et de sens prélangagiers (le structuralisme de Leroi-Gourhan ne pouvait aller jusque-là, ne concevant d’activité symbolisante que par l’intermédiaire de l’écriture : les hommes préhistoriques peignaient-ils déjà pour se taire, pour ne pas écrire ?…), c’est-à-dire de ce qui manque (bêtes présentes aux images pour celles qui font défaut : par migrations saisonnières, etc. ; absentes pour les autres…), en un mot : libidinaux.
Une loi empirique : jamais le corps humain n’est donc figure pour l’art paléolithique. Il ne peut en être que « l’interprétant[21] » : jamais l’interprété. Ainsi la grotte également, assimilée par Schefer – avec d’autres préhistoriens – à un mégacorps (rythmé par des signes de fragments du corps humains : vulves, mains…) : « C’est, bien sûr, un corps imaginaire qui comprend les figures et un corps plus grand que n’importe quel corps. On en peut raisonnablement conclure qu’il offre un cadre de situation qui oriente au moins les figurations (quelles que soient les pratiques d’invocation ou d’incantation dont elles témoignent) en un sens non réaliste […]. La grotte est “vécue” ; elle est un territoire sensible : elle accepte, reçoit, conserve des propositions figuratives ; chacune est plus ou moins propice à des modifications figuratives. Car les modifications formelles des animaux sont un jeu de solidarité avec l’espace : relief des parois, plans encadrés, niches, étirements de boyaux, cheminées ; les espaces “morts”, non dynamiques, n’y sont jamais employés. L’utilisation régulièrement observée de relief (saillies, cassures, arêtes, colonnettes, etc.) comme support ou esquisse de figures, silhouettes globales, va exactement en ce sens : la figuration est une adaptation de lignes et de figures aux qualités de l’espace[22]. »Et plus spécifiquement au ventre matriciel, menstruel et sexualisé de la femme (la femme est exception à l’invisibilité de l’homme « à cause de cette fonction érotique qui en fait l’objet d’une forme typifiée[23] ») : « La grotte, dont les replis les plus secrets comptent des vulves gravées ou modelées, parfois très réalistes comme à Bédeilhac, contient dans ses replis ou poches utérines des groupes ou des îlots d’images et ces images sont précédées, soulignées ou accompagnées de couleur, c’est-à-dire de rouge[24]. »
2.
L’art pariétal a lancé l’histoire de l’art à partir d’un faux bond, d’une défaillance que la peinture n’aura pas su rectifier : « Les homme sont invisibles[25]. » Seul le cinéma aura pu rendre « l’homme visible[26] ». Programme involontaire – que le cinéma – venant ainsi se greffer directement sur les fresques paléolithiques – ne remplira pas par des fins partagées avec la peinture, c’est-à-dire par ressemblance mimétique. Car la ressemblance n’est pour les images, à partir de l’événement narratif du néolithique – question plus acuminée encore pour l’image reproductionnelle et analogique de la photographie (mode de production de l’image de cinéma : le photogramme) – qu’une « synthèse étrangère[27] » : celle du récit, de la fable, de la « possibilité narrative » qui est toujours une « perte d’image[28] », tournée en arrière (vers l’objet référentiel), quand l’écriture schéférienne se gaufre de ce qui dans l’image est tournée en avant, vers le spectateur, autonome de son prétendu modèle ou sujet : « Nous sommes dans ce film la latence réalisée de l’image : un corps ne bondit pas dans cet espace sans que nous n’éprouvions aussitôt son imparfaite solidarité avec notre poids[29]. »
Dès lors, la ressemblance (évoquée en telles pages consacrées à La Chienne, aux Contes de la lune vague après la pluie…), dont nous sommes la visée asymptotique, « a déjà eu lieu », dans notre dos, en arrière – « … l’acte de ressemblance a déjà eu lieu, tu ne la verras pas, il ne restera qu’une histoire dont il faudra démêler tant de scènes qui sont en elle comme des pièces enchâssées, de telle manière que la mémoire du film ne saura être ni tout à fait celle des images, ni entièrement celle du dispositif narratif qui passe à travers elle[30] » ;« … la ressemblance – dont nous serions ainsi condamnés à ignorer ce qu’elle était – a déjà eu lieu : nous ne pouvons dès lors qu’assister à un jeu des actions qui ne pourra plus – plus jamais – imiter cette ressemblance, cet acte sans copie, sans témoin[31] » ;« … je n’attends pas de telle main posée sur une table et qui transpire comme un visage, qu’elle signifie mais […] qu’elle ait ressemblé, en somme que la signification indécise qui la fait apparaître l’emporte aussi ou la change à mes yeux[32] »–et devient alors ce que Schefer nomme « la dernière ressemblance », non plus similitude physique, matérielle, mais « l’effroyable ressemblance du temps », quand le monde « se met soudain à ressembler à ce qui ne cesse de le rendre dissemblable[33] », c’est-à-dire quand la ressemblance ne fait plus qu’une avec les processus de défiguration, et donc de dégradation, de vieillissement, d’accélération[34] : « l’horreur du Temps[35] ». Tournée vers le spectateur, la ressemblance ultime de l’image, qui ne ressemble à rien, est celle qui « répond à l’attente incertaine qui rôde entre elle et nous comme son corps[36] ».
Le cinéma aura enté le temps pour lui-même (et non simplement cette image indirecte du temps, indirecte parce que spatiale : le mouvement) sur les choses, et leurs images : « L’image mécanique périme ce qu’elle enregistre – elle l’introduit au temps, au temps de la consumation dans une sollicitation ou suggestion d’imitation de faible durée[37]. »Et c’est précisément parce que « le cinéma prend en moi une espèce de temps que rien d’autre ne pourrait prendre[38] », en une image qui s’ouvre à la temporalité, qu’il a rendu l’homme visible : pas par une quelconque ressemblance aspectuelle et de surface, car la visibilité cinématographique de l’homme est celle de « l’intérieur visible d’une espèce[39]» : ce qu’il veut, ressent, éprouve… (formulation cartésienne). « Pour la première fois nous voyons sans honte des hommes, c’est-à-dire des hommes qui, pour la première fois, sont le spectacle de notre impudeur entière[40]. »
Poursuivons : « Le cinéma nous a dotés du corps des autres pour notre histoire personnelle encore non écrite (seule lisible dans la langue que nous devenons)[41]. » Ce qui s’y joue est ceci : « l’espèce inconnue en celui qui regarde le film, en celui qui dans ce film-là se voit dans une espèce nouvelle[42] ». Là où les autres arts nous mettent en face de corps solides, au cinéma domine « le sentiment très vif d’un déplacement libre du scénario de la vie enfin libérée des entraves du réel et d’une projection exacte d’un envers de la vie, c’est-à-dire de son spectacle par transparence[43] ». La copie de la réalité n’est pas l’affaire de cette image seulement d’allure analogique, mais cette apparence est aussi transparence(recto-verso du support, inversion des compositions, superposition des images par la perception visuelle, etc.), traversée vitreuse,et, en cela, « l’objet du cinéma n’est aussi que son invention poétique (le contrat du lycanthrope et du fantôme alternatif), c’est celui des substances évanouissantes, régime, en quelque sorte, des nouveaux corps fictionnels[44] ». Devant le film, dont « nous sommes une partie de l’image[45] », nous apprenons la mémoire de ce qui, de nous, n’est jamais venu[46] « Contrairement à toute autre esthétique, le cinéma ne nourrirait pas de décalage entre l’imagination, le rêve, le désir et la vie (qu’il serait une espèce de science de la vie affective, rêvée, etc.)[47]. »
Tel est, principalement, ce par quoi le cinéma – cadrage, montage… – nous révèle à nous-mêmes, différemment de la peinture, comme une « espèce mutante[48] » (disproportion des figures, et ainsi de suite : burlesque, fantastique, corps-animal, corps-objet, corps-machine, positions paradoxales, volatiles…), plastiquement et formellement muable, « notre qualité de mutants historiques, notre qualité d’espèce[49] ». Nous sommes les « êtres larmoyants en qui le temps s’est enroulé[50] » : des « fictions », « une donnée dont la taille ou les proportions maintenues semblent une convention théâtrale et morale »[51]. La visibilité de l’homme est à ce point immanente au cinéma qu’il n’aura jamais réussi complètement à en rompre le pacte figuratif : « Quand je dis que le cinéma n’a justement pas réussi à être moderne, c’est que par ce développement poétique de la mémoire, il n’a jamais été, par exemple ; cubiste, informel, joycien… Est-ce parce qu’il est lié à la forme de l’action humaine et que toute son audace n’a jamais été qu’un recours à la forme de l’action rêvée ? Que la limite de plasticité de la forme humaine était, en quelque sorte, gérée ou régie par un continu de synthèse du geste humain, et qu’il y a là, dès lors, peu de fictions sur le contenu des actions ou des expressions[52] ? »
La peinture a échoué à rendre l’homme visible, c’est-à-dire temporalisé : condamnant l’homme à l’immobilité (ne pouvant sortir de la sphère d’apparentement du mouvement). Il n’y a que dans la fable, à savoir en dehors des images (le verbal) que l’homme, temporel (nous sommes le temps), a pu apparaître dans les images peintes ou dessinées par l’organisation d’une scène. L’homme n’est pas présent à ces images : il n’y est que coprésent (à partir du néolithique : mythologie, scènes de chasse…). La peinture, si elle consiste en un déclinement nébuleux de l’instabilité figurative de l’espèce humaine (définition ovidienne), n’a pas réussi à rompre avec l’économie de la ressemblance. Fulgurance dans Images mobiles : même l’abstraction est un « travestissement » de la ressemblance, « son malaise », et la « commotion » est toujours en peinture « celle de la ressemblance » ; au cinéma, elle est « l’expérimentation du temps même dont le film est le prétexte, la machine, la production de causes[53] ». Mais ce faisant –« l’effroyable ressemblance du temps… » – le « spectacle de l’homme visible » (par quoi s’ouvre L’Homme ordinaire du cinéma)[54] se présente simultanément comme « une désespérance de la figure humaine » (par quoi il se clôt quasiment : section « La face humaine[55] »).
Aussi les images du cinéma, par leurs effets brutaux d’affolements et de saccades, par la ressemblance toujours (dé)passée, parce que « pour une part nous sommes la genèse et la vie momentanée de ce monde suspendu à une sommes d’artifices[56] », sont toujours retard (s’il y a retard en peinture, ce n’est que comme « enregistrement » : « Quel autre système d’enregistrement du temps que le tableau faisant figure de son retard[57] ? »). Nous tenons ici le maître mot de toute la dernière partie de L’Homme ordinaire du cinéma (et qui se dit encore « exception », « fatalité »…) : « … j’éprouve déjà le soulagement de cet acte dont je perçois tout le retard dans les images[58] » ; « [le crime] accomplit un mouvement du sommeil parce qu’il soulage en moi un retard de monde qui n’a jamais de figure, aucune forme, aucun nom[59] » ; « il sera toujours et même éternellement en retard sur l’ombre de la proie qui rôde en moi sans aucun destin et que je ne peux avouer parce qu’elle n’a pas de vérité[60] ». Autrement : « Je suis provisoirement sa loi, et n’est-ce pas de cette certitude-là que provient le sentiment d’arriver toujours en retard à tout spectacle d’un film (de n’apporter au spectacle que ce seul léger retard qui s’ajoute en lui)[61] ? » On pourrait continuer encore : « Notre place, c’est à vrai dire seulement notre signification, est ici fugitive ; elle est pourtant essentielle. Je la crois (je l’ai donc ainsi expérimentée) liée au retard, à la manière de retard fatidique que nous avons sur ce que nous voyons[62]. » En un mot : retards sur retards, retards qui s’ajoutent les uns aux autres (du spectateur au film, de l’image à la ressemblance, du mouvement sur l’écran[63], etc.). Retards infectieux : parasitologie du retard. L’histoire ni l’historiographie du cinéma n’intéressent Schefer : l’accès du spectateur aux films a été de toutes façons, au fur et à mesure, de moins en moins annexé sur l’ordre chronologique des années de leur production (le retard constitutif du spectateur, qui vient toujours après la fin du film, du tournage, du montage, etc., a fini e. g. par permettre, par divers moyens techniques, de voir des films tournés après avant d’autres les précédant). Importe uniquement le cinéma comme émanation d’images hystériographe (de l’ancien grec hustêresis : l’après-coup, le supplément, le post-scriptum)[64]. Décalage « incomblable, […] de surcroît inassummable[65] », que seul le retard factoriel de l’écriture, faisant suite à la vision du film, peut exprimer. Comment avoir expérience vivante du retard si ce n’est en la retardant ? Comment une expérience ponctuelle du retard serait-elle possible ?
C’est que le retard est emblème du temps pur. Qu’est-ce qu’une expédition temporelle du temps ? Ce n’est certainement pas le temps spatialisé de la succession disjonctive du passé, du présent et du futur, de l’avant et de l’après, qui compartimente le temps comme s’il était l’espace (homogène, divisible), en le partageant en tranches comme une baguette de pain (la droite fléchée, la frise chronologique, le cadran de l’horloge…). Ce temps n’est que faux. On a mainte fois rapporté les mots fameux de Bergson à son encontre[66]. On peut encore penser à Heidegger : « La temporalisation ne signifie pas une “succession” des ekstases. L’avenir n’est pas postérieur à l’être-été, et celui-ci n’est pas antérieur au présent. La temporalité se temporalise comme avenir-étant-été-présentifiant[67]. » (Mon intention n’est que de rappeler ce point largement convenu – c’est toujours la critique du temps spatialisé, ligne, etc. – sans en approfondir les effets de doctrine.)
En son for intérieur, le temps, qui n’a rien d’objectif (à moins d’être réduit à une coquille vide, comme le temps kantien aprioriste : seulement appareil de l’espace…), et comme nous en donne pratique le cinéma par ses modes d’expression (plan, montage : détachement potentiel de tout mobile), est compénétration et coexistence permanentes, savoir conscience : qu’est-ce – tout simplement – que le passé, si ce n’est le futur du présent, et ainsi de suite (le langage, qui est spatialisation, ne peut que faire défaut : qui dit coexistence, compénétration, suppose des parties, donc de l’espace ; Bergson parlait en 1911 de « continuellement présent qui serait aussi du continuellement mouvant[68] »). Le temps, sub specie durationis, fait boucle, fait boule (la langue, encore, pêche…). De cela, le retard est l’épreuve vectorielle : car « retard » ne signale pas seulement qu’on a raté ce qui ne peut plus arriver (donc du passé, du pas présent) mais que ce raté est deux fois tardif, à savoir une sorte de futur intensif (il n’y a retard que pour qui aurait, non seulement pu, mais dû prévoir, c’est-à-dire faire ce qu’il fallait pour arriver en avance ou à l’heure, avant que ça commence à (se) passer : exit le passé).
L’image la plus remarquable du temps donnée par Schefer dans L’Homme ordinaire du cinéma est celle de la roue : mouvement circulaire à l’origine d’un autre linéaire (chariot, etc.), mais au cinéma seulement illusoire (de la projection par la rotation de la bobine), comme la roue de l’écureuil en cage, qui tourne et tourne en pensant fuir sa prison, et dont « la course effrénée contre le temps[69] » produit parfois des artefacts d’immobilité voire d’inversion de la rotation, de remontée du temps (la fatalité, que je suis en tant qu’hypothèse du temps, par qui le temps se fait crime, est cela[70]). Sur le cercle de la roue, le même point pouvant y être à la fois départ et arrivée, passé, présent ou futur, le retard est toujours le moment opportun. Ainsi Schefer peut-il, sans contradiction, écrire que le film nous procure « une éternité d’avance[71] », parler du « retard qui n’est pas dans le film, qui n’est pas en nous-mêmes[72] », ou encore que la « disproportion du monde » y est atteinte par nous « sans retard (c’est-à-dire parfois sans conscience) [73] ».
Avec l’image du temps, « une matière nouvelle devient sensible[74] », et cette nouveauté est morphologiquement un « acte de pensée[75] », c’est-à-dire l’affection d’un mouvement[76]. « Je vois ici, confondues, la genèse du monde (et c’est aussi bien sa destruction élémentaire), la genèse de la pensée ou sa lente inchoation et un commencement de visible qui n’est pas encore une figure, qui n’est pas encore une action[77]. »
3.
Comme l’art préhistorique, le cinéma n’est pas affaire de ressemblance : de part et d’autre du territoire de la mimèsis picturale (avant son invention/après ledit basculement photographique), la roue des images a roulé et opéré son exemptable révolution en une chantournée coincidentia oppositorum où le dénouement du problème fondateur des images – la visibilité de la figure humaine – se formule bel et bien en termes de résolution (schématisme abstractionnel/analogisme indiciel) : le cinéma comme issue, c’est-à-dire comme verso des problèmes posés par l’art paléolithique. Quelquefois, Schefer aura laissé passer, au détour d’une incise, d’une image littéraire – en aval de la « révélation nocturne des secrets[78] » du cinéma pensé à partir du big bang poétique d’Eurêka, de la toupie de particules par laquelle le monde advient (Du monde et du mouvement des images[79]) – une intuition plus disruptive et génératrice de fictions spectaculaires : exaspérer la mémoire du cinéma (et avec lui de toutes les images, peut-être), la mémoire en cinéma jusques à un univers instauré déjà mais d’avant l’apparition de l’homme. Auquel l’homme, comme espèce, ne sera arrivé qu’en retard.
Retard tel que l’homme manque, c’est-à-dire assiste à l’invention de ses propres images, cloquées sur le monde avant lui.
Des énoncés, introuvables, en incisent et entrouvrent l’amande, le plus souvent sous une forme métaphorique, c’est-à-dire précisément en images ; mais qui, par définition, opèrent sans médiation et imposent une équivalence voire une assimilation trapue entre les objets comparés, pour peu que le lecteur, comme le spectateur soit bien le « lieu expérimental des effets filmiques : narratifs, esthétiques, existentiels[80] », soit, du texte (ce style : plus visible que lisible, livres à brouter du regard[81]…), la « conscience expérimentale[82] » des effets, le « dernier juge[83] » ductile des affects, la « machine d’imagination[84] ». « Toutes les images tombent à côté de son corps mais il pourrit très lentement, devant ses cheveux gris les seins de Jayne Mansfield se tendent dans un chemisier de nylon et font craquer une boutonnière, il gémit en silence, les mêmes souliers bougent au bout de son pantalon, il vieillit très lentement devant l’océan, il ne dort pas, il vieillit devant un troupeau de dinosaures, il est invisible[85]. » L’image est saisissante : images du film – La Blonde explosive ? : seins en plaques osseuses extrapolées (panneaux pour régler la température corporelle, donc), démesurés par rapport à la tête toute petite (mythe tenace de l’idiote ravissante)… – en reptiles herbivores bénins, patauds sauropodes (diplodocus, brachiosaures) ou cuirassés thyréophores (stégosaures). Il n’est pas question de préhistoire ici, mais à proprement parler des temps géologiques (Mésozoïque, voire Paléozoïque)[86]. C’est bien à cela que Schefer pense, y compris quand il recourt au lexique de la préhistoire – un peu faute de mieux, ou par convention – comme ici : « N’est-ce pas que ce que nous avons vu dans l’enfance, ces morceaux de monde qui remplaçaient le monde, ces objets peu mobiles qui bouchaient notre perception et ces choses saisies avec une telle vivacité de sentiments qu’en elles ces sentiments auraient survécu, comme un paysage préhistorique, par-delà leur forme ancienne[87] ? » Ces paysages en question : non pas ceux des premiers hommes, ceux du paléolithique ou du néolithique, qui ne différaient pas des nôtres et ne possédaient aucun facteur d’étrangeté, ne font pas images, mais arides concrétions rocheuses, forêts de conifères aux fougères et prêles géantes, volcans en éruption, etc., où l’homme n’a pas de place, n’est pas visible parce que, non encore apparu, il n’est pas même en état de voir.
Ce qui me fait voir, au-delà la capacité physiologique (il ne suffit pas d’ouvrir les yeux pour voir), c’est ce qui a survécu de mon enfance (qui a vu notre éducation esthétique : la seule – avec la politique – qui ne s’oublie pas). « Les images nous choisissent invariablement au même âge. Celui-ci n’est pas un âge réel ni une enfance réellement vécue, plus assurément c’est une sorte de transition de l’enfance qui demeure immuablement attachée à la première rencontre qui a eu lieu ici-même[88]. » Dans d’autres textes, Schefer connecte directement enfance, une enfance si fondatrice qu’elle serait – déplions l’analogie – comme d’avant moi, et pourtant mienne tout entière, et préhistoire, ou mieux : temps géologiques. Dans Le Temps dont je suis l’hypothèse, présentant sa naissance telle la sortie d’un « moment de préhistoire[89] » ; un peu auparavant, il venait de comparer le travail de la mémoire aux « forêts pétrifiées que Humboldt découvre au Chili[90] » (des végétaux fossilisés). Les fougères des bois de sa jeunesse sont dépeintes en des termes suggestifs, peut-être malgré eux (n’est-ce vraiment qu’une invention de lecture ?), des fougères prodigieuses de l’ère primaire : « fougères, parfums retenus dans la forêt primitive[91] », « faire croître et en quelque sorte venir un corps oublié qui autrefois était tout entier le bercement des tempêtes et le balancement des fougères[92] ». Parfois même, Schefer paraît remonter bien plus haut dans le temps, autrement dit opérer un tour de roue (aux sonorités qui me semblent lovecraftiennes), comme lorsqu’il évoque « un corps que l’on ne peut mesurer au nôtre, si ancien qu’il est demeuré liquide, si vieux que les vagues qu’il abandonne touchent encore un continent préhistorique[93] » (Laurussia ? Pangée ?…).
4.
Une promesse d’écriture tient l’un à l’autre, Jean Louis Schefer et Italo Calvino (dont le geste littéraire, a rappelé Jean-Paul Manganaro, « est en partie le résultat d’une réflexion sur les modes de représentation filmique[94] » ; et auteur en 1974 d’une émouvante « Autobiographie d’un spectateur »). Et probablement plus. Un prolongement cinglant aux précédentes réflexions (l’anachronisme n’est pas un destin d’idées ou d’images) se rencontre, par exemple, dans un texte « préhistorique » de Temps zéro auquel ceux de Schefer n’ont cessé de me reconduire.
Dans le paragraphe introductif du récit « Le sang, la mer » – clôturant la première partie de l’ouvrage : « Autres Qfwfq » – Calvino élabore une petite fable à partir du constat scientifique que la composition de l’eau de mer est quasiment identique à celle du sang. L’eau de mer, initialement à l’extérieur des organismes cellulaires primordiaux (milieu dans lequel ils baignaient, « d’où les premières cellules vivantes et les premiers êtres pluricellulaires tiraient l’oxygène et les autres éléments nécessaires à la vie[95] »), a fini par pénétrerceux des organismes qui se sont complexifiés (toutes les cellules ou toute la surface d’une cellule ne pouvaient plus alors être au contact de l’eau« par simple extension de la superficie externe[96] ») ; les premiers organismes à incorporer l’eau de mer ont été « les organismes doués de structures creuses, à l’intérieur desquelles l’eau de la mer pouvait circuler[97] » (les radiolaires). Mais, en se sophistiquant, ces organismes ont capsulé leur structure, et la mer leur est devenue intérieure : « La mer, dans quoi les êtres vivants étaient autrefois plongés, est maintenant renfermée dans leurs corps[98]. »Le sang n’est que de l’eau de mer décolorée. Voire pas du tout ; plus loin, dans le cours du chapitre, on peut lire :« Les profondeurs marines étaient d’un rouge comme celui que maintenant nous ne voyons nulle part ailleurs que dans l’intérieur de nos paupières, et les rayons du soleil venaient les éclaircir comme des jets de flammes, ou des faisceaux[99]. »
Un texte de Jean Louis Schefer – en a-t-il eu intention ? – en bourgeonne, dans Le Temps dont je suis l’hypothèse, des développements d’images. Ces dernières y sont identifiées (métaphore toujours…) à « des roches affleurantes autour desquelles la mer fait ses lignes agitées, met en scène une fureur, découvre des profondeurs de peau veinulée, des mousses flottantes déchiquetées et des écumes[100] ». L’océan fait images (souvenir de Lautréamont ?).Mais il y a plus : l’intérieur de l’océan devient aussi image ; la période se poursuit, évoquant les« formes de l’eau devenues des corps, méduses qui sont des yeux arrachés à l’eau et font sa coalescence électrique, poissons qui sont le fil de l’eau ou lames glissées dans ses courants et blanchissent, végétations crachées, crustacées que l’eau reprend sur l’immense amas de déchets qui fume, exhale la puanteur du sel qui tenait dans ces substances liquides les formes en des corps dont la vie décrit un catalogue des nervosités et tous les degrés alors possibles d’individuation du temps dans cette matière dont aucun point n’est solide et qui doit bien être la mémoire et l’avenir de la liquéfaction du monde[101] ». D’autres pages, nombreuses, en résonnent l’écho[102]. La profusion d’images des bouillonnements aqueux (contre le récit terrestre et la fable, solidité narrative), des pulsations liquides (nous sommes l’eau du prisme dans lequel s’affectent les couleurs), c’est-à-dire la puissance intimante et intime des images (racines d’une conscience bergsonienne lacustre, ou des « courants de conscience » : d’abord images de la mémoire, notre moi le plus personnel, les images peintes ou filmées sont la dessiccation de notre mémoire…) gagne aussi le rapport à la littérature : « Je ne savais lire que les auteurs chez qui l’on attendait que le fond remonte, que l’eau agitée ou troublée se calme et laisse apparaître le personnage incertain qui marchait sur le sable et dont les pas, l’un après l’autre, s’effaçaient parce que dans la recherche de son âme inconnue qu’il espérait un jour trouver comme une chose déjà disposée, une végétation sous-marine, un coquillage aux couleurs seulement avivées par l’eau d’un étang, il arpentait un monde inexistant où lui-même était l’égal d’un flux, d’une eau remuée à laquelle le prisme liquide, une lumière traversant ce cristal à certaines heures du jour, avaient donné un corps[103]. »
(Dans une aventure précédente de Qfwfq (Cosmicomics), Calvino l’avait figuré en mollusque primitif, benthique, spiralant sa coquille en direction d’une femelle désirée de son espèce : inventeur par là des images. Les images existent avant le moindre œil pour les voir. Elles ne sont pas déduites des organismes dotés de la vue. Au contraire, la vue n’est inventée que pour tirer usage de ce poids de sensations lumineuses (émettre et refléter des vibrations). Chose imprévue : que les yeux qui finalement s’ouvrirent seraient, non ceux des cœlomates, mais des autres…)
Rien du sang ici : objection(mais Calvino : « Tout le sang aura été finalement notre sang[104] »…) ? C’est qu’il faut lire ailleurs : le sang est scalaire imageant et anamorphotique. Une généalogie s’en crayonnerait chez Schefer, de Question de style à La Cause des portraits, en circulant par L’Hostie profanée, Cinématographies ou Polyxène et la vierge à la robe rouge, qui pourrait remonter à Aristote (les menstrues, le rêve) et passe par l’art pariétal[105], Paolo Uccello (Miracle de l’hostie),une Vierge au jardinet (longtemps attribuée à Schongauer), mais encore Chrétien de Troyes (Perceval ou le Conte du Graal). Schefer n’a jamais cessé d’écrire sur les métamorphoses imageantes du sang et du rouge (qui n’existe pas dans la nature[106]). J’y suis revenu plus en détails ailleurs, récemment[107].
Conjecture schefero-calvinienne – cette « motion romanesque » par laquelle commence toute interprétation[108] : le sang (ou ses équivalents), dont l’homme n’est pas le détenteur unique, fait image parce qu’il est ce qui en nous vient et nous reste des premiers organismes complexes à sang dans les âges terriens primitifs, sans doute des sortes de lamproies cambriennes, où l’homme n’était pas même – à des millions d’années de là – la rumeur d’un désordre. L’invention figurative du sang mande les images bien avant l’apparition de l’homme : la fiction de Calvino permet d’entoiler préhistoire et sang chez Schefer et d’en inventer (le lecteur, aussi, n’a que faire de la ressemblance…) une lubie : penser ses images impose de remonter plus loin que l’homme. Et ce mystère, qui finira par aboutir en cinéma, et trace entre les époques du monde des généalogies improbables.
Jean-Michel Durafour
[1] Jean Louis Schefer, Questions d’art paléolithique, P.O.L, Paris 1999, p. 36.
[2] Ibid., p. 28.
[3] Ibid., p 35.
[4] Ibidem.
[5] Ibid., p. 77.
[6] Ibid., p. 32.
[7] J. L. Schefer, Le Temps dont je suis l’hypothèse, P.O.L, Paris 2012, p. 9.
[8] Schefer, Questions d’art paléolithique, op. cit., p. 24.
[9] Ibid., p. 167.
[10] Ibid., p. 53-55.
[11] Ibid., p. 81.
[12] Ibidem.
[13] Ibidem.
[14] Ibid., p. 17.
[15] Ibid., p. 35.
[16] Ibid., p. 166.
[17] Ibidem.
[18] Ibidem. C’était déjà la thèse de Leroi-Gourhan. Voir, par exemple, Le Geste et la Parole. II. La mémoire et les rythmes, Albin Michel, coll. « Sciences d’aujourd’hui », Paris 1964, p. 220 : « L’art primitif débute par conséquent dans l’abstrait et même dans le préfiguratif. » Plus loin : « L’ésotérisme figuratif est pratiquement contemporain de la naissance de l’art lui-même ; loin d’être un phénomène tardif il est directement lié au fait que les figures sont des symboles et non des copies » (p. 243).
[19] Schefer, Questions d’art paléolithique, op. cit., p. 171.
[20] Ibid., p. 35, p. 43.
[21] Schefer, Questions d’art paléolithique, op. cit., p. 51.
[22] Ibid., p. 81, p. 168.
[23] Ibid., p. 31.
[24] Ibid., p. 81.
[25] Ibid., p. 49.
[26] J. L. Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, Cahiers du cinéma/Gallimard, Paris 1980, p. 18. L’expression est empruntée à Béla Balázs. Cette référence, complexe, mériterait un développement à part.
[27] Ibid., p. 126.
[28] Ibid., p. 77.
[29] Ibid., p. 199.
[30] Ibid., p. 159-160.
[31] Ibid., p. 200.
[32] Ibid., p. 156.
[33] Ibid., p. 208.
[34] Lire les pages admirables consacrées par Schefer, dans Du monde et du mouvement des images, à la centrifugeuse cosmogone des atomes dans le poème Eurêka de Poe, dont le paradigme « romantique » et la rêverie spéculative ouvrent la voie au cinéma – et le siècle en général, dont toute l’affaire romanesque, historique, scientifique… aura été le temps : « Les hommes subitement voient autre chose : ils écrivent pour la première fois leurs rêves » (Le Temps dont je suis l’innocence, op. cit., p. 69) comme « principe d’instabilité des figures » (Du monde et du mouvement des images, Cahiers du cinéma, coll. « Essais », Paris 1997, p. 56). Eurêka – où l’électricité joue un rôle primordial : « La somme d’électricité développée par le contact de deux corps est proportionnée à la différence entre les sommes respectives d’atomes dont les corps sont composés » (Edgar Allan Poe, Œuvres complètes, éd. Y.-G. Le Dantec, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 729) – poserait le modèle universel des puissances accélératrices et particulaires (grain, poussière…) qui seront celles des images du cinéma : « Étrange spectacle qui pense l’univers comme l’avenir des ruines, son mouvement comme l’écroulement des pierres, mais ses atomes comme des enfants perdus cherchant leur père, c’est-à-dire la cause qui les ferait disparaître et dont leur fuite éperdue en tout sens est la nostalgie ; et ce retour accomplit la consommation du temps, la fin du monde. […] Cela mesure l’accélération d’images produites dans le monde comme gestion de sa surface et de sa totalité réelle dont les films ont été l’invention » (ibid., p. 59).
[35] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 101.
[36] Ibid., p. 192.
[37] Schefer, Du monde et du mouvement des images, op. cit., p. 10.
[38] J. L. Schefer, Images mobiles. Récits, visages, flocons, P.O.L, Paris 1999, p. 142.
[39] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 18.
[40] Ibid., p. 102.
[41] Schefer, Images mobiles, op. cit., p. 142.
[42] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 101.
[43] Schefer, Images mobiles, op. cit., p. 142.
[44] Ibid., p. 143. Dès Étienne-Jules Marey : « Le mouvement étant par essence irréductible à l’instantanéité, il faut, pour en obtenir une expression qui ne soit pas celle d’un corps arrêté dans sa course, le dissocier de ce corps qu’il traverse, qui le porte et auquel il ne s’identifie pas. Marey envisage le mouvement dans sa texture discrète, restée inaccessible au prélèvement photographique et cherche non plus à le reproduire, mais à le reconstituer en le dégageant de son enveloppe sensible. La considération des stations observées par le mobile est abandonnée au profit des transitions évanescentes qui les relient et dont il s’agira d’exprimer la visibilité propre à partir d’un ensemble de formules visuelles qui ne présupposent pas la figurabilité, mais au contraire la conditionnent » (Philippe-Alain Michaud, Sketches. Histoire de l’art, cinéma, Kargo & L’Éclat, Paris,2006, p. 55).
[45] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 145.
[46] Ibid., p. 116.
[47] Schefer, Images mobiles, op. cit., p. 144.
[48] Schefer, Du monde et du mouvement des images, op. cit., p. 21.
[49] Ibidem. L’auteur souligne.
[50] Schefer, Le Temps dont je suis l’hypothèse, op. cit., p. 11.
[51] J. L. Schefer, Cinématographies. Objets périphériques et mouvements annexes, P.O.L, Paris 1998, p. 13.
[52] Schefer, Images mobiles, op. cit., p. 147.
[53] Ibid., p. 175.
[54] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 18.
[55] Ibid., p. 189.
[56] Ibid., p. 10.
[57] Schefer, Le Temps dont je suis l’hypothèse, op. cit., p. 115.
[58] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 143.
[59] Ibid., p. 144.
[60] Ibidem.
[61] Ibid., p. 200.
[62] Ibid., p. 205.
[63] Ibid., p. 208.
[64] On ne le confondra pas avec l’après-coup (Nachträligkeit) et le retardement (Verspätung) propres au fonctionnement de l’inconscient freudien qui ignore le temps. Dès 1905, la découverte de Freud (Esquisse d’une psychologie scientifique) est celle d’un retard originaire. La vie primaire (neuronale) procède par « frayage » ; ou autrement, avec Derrida (L’Écriture et la différence, Seuil, coll. « Points Essais », Paris 1979, p. 302) : « Il n’y a pas la vie d’abord présente qui viendrait ensuite à se protéger, à s’ajourner, à se réserver dans la différance. Celle-ci constitue l’essence de la vie. » Schefer n’aura pas accommodé la psychanalyse en ses fictions. L’après-coup schéférien n’a rien à voir avec la différance derridienne. Je ne puis développer ce point trop complexe ici.
[65] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 224.
[66] Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, éd. Frédéric Worms, PUF, coll. « Quadrige », Paris 2011, p. 79 : « La vraie durée, celle que la conscience perçoit, devrait donc être rangée parmi les grandeurs dites intensives, si toutefois des intensités pouvaient s’appeler des grandeurs ; à vrai dire, ce n’est pas une quantité, et dès qu’on essaie de la mesurer, on lui substitue inconsciemment de l’espace. » Outre les pages suivantes de l’Essai (p. 82-88), et tout le chapitre II en général, on lira également sur ce sujet – critique des paradoxes éléates de Zénon et de la conception scientifique du temps (dans les deux cas, l’intelligence, seulement à l’aise dans l’espace – analyse, classement, etc. – y fonctionne comme en régime usuel : posant artificiellement des immobilités, c’est-à-dire des arrêts, des juxtapositions, pour garantir l’action ou la pensée ; se tenant ainsi toujours en extériorité à l’invention de la durée intime et de « l’élan vital » : continus et irréversibles) – H. Bergson, La Pensée et le mouvant, « La perception du changement », éd. Fr. Worms, PUF, coll. « Quadrige », Paris 2009, p.157-176 (p. 169-170 : « Notre présent tombe dans le passé quand nous cessons de lui attribuer un intérêt actuel. […] Une attention à la vie qui serait puissante, et suffisamment dégagée de tout intérêt pratique, embrasserait ainsi dans un présent indivisé l’histoire passée tout entière de la personne consciente ») ; L’Évolution créatrice, éd. Fr. Worms, PUF, coll. « Quadrige », Paris 2009, p. 303-315, p. 335-343.
[67] Martin Heidegger, Être et Temps, § 68, trad. Emmanuel Martineau, Authentica, Paris 1985, p. 244.
[68] Bergson, La Pensée et le mouvant, op. cit., p. 170.
[69] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 178.
[70] Ibid., p. 153 : « J’ai donc été la fatalité et la synthèse de tout cela. » P. 163 : « Le cinéma et les films que je ne cesse d’aller voir m’infligent ce supplément de conviction : que je suis une fatalité. » P. 171 : « Il fallut donc, par la même fatalité qui laissait le monde intouché, que ces images se fussent enfermées en nous avec leur substance et leurs qualités sauvegardées, à la manière d’un crime dont nous eussions été en même temps les témoins silencieux, les acteurs, les objets, c’est-à-dire toute la durée. »
[71] Ibid., p. 129.
[72] Ibid., p. 177.
[73] Ibid., p. 110.
[74] Ibid., p. 217.
[75] Ibidem.
[76] Si l’on doit, comme le fait Schefer, faire du mouvement l’attribut principal de la pensée. Mais n’est-ce pas oublier l’importance des effets statiques dans l’élaboration de la pensée ?
[77] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 215-216.
[78] Schefer, Du monde et du mouvement des images, op. cit., p. 57.
[79] Ibid., p. 67, e. g.
[80] Schefer, Images mobiles, op. cit., p. 175.
[81] La référence est lyotardienne : « Un bon livre, pour laisser être la vérité en son aberration, serait un livre où le temps linguistique (celui dans lequel se développe la signification, celui de la lecture) serait lui-même déconstruit ; … le lecteur pourrait le prendre n’importe où et dans n’importe quel ordre, un livre à brouter » (Discours, Figure, Klincksieck, coll. « La Collection d’Esthétique », Paris 1971, p. 18).
[82] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 22.
[83] Ibidem.
[84] Schefer, De quel tremblement de terre…, op. cit., p. 61.
[85] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 149.
[86] L’océan ici ou ailleurs souvent évoqué (j’y reviendrai), que je vois, non pas comme l’océan de notre temps, mais comme le spectacle de notre planète tel qu’aucun homme jamais n’a pu le voir, presque entièrement recouverte par les eaux, et où la vie n’était encore au mieux qu’aquatique. Les pages de Schefer sur l’océan ou la vie aquatique (poissons, amibes, etc.) ont toujours déployé pour moi leur mémoire d’une de mes lectures de jeunesse : Les Déportés du Cambrien de Robert Silverberg, trad. Guy Abadia, Laffont, coll. « Ailleurs et Demain », Paris 1978. Science-fiction : un gouvernement autoritaire, capitaliste et centraliste, la « syndicature », ne condamne plus les révolutionnaires à mort mais les déporte, par un tour d’humanisme gauchi, dans le Cambrien grâce à une machine temporelle, le « Marteau » ; et l’homme peut voir… : « Du haut de la colline, il contempla son royaume » (p. 191).
[87] J. L. Schefer, Origine du crime, P.O.L, Paris 1999, p. 4.
[88] Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, op. cit., p. 132.
[89] Schefer, Le Temps dont je suis l’hypothèse, op. cit., p. 27-28.
[90] Ibid., p. 21.
[91] Schefer, De quel tremblement de terre…, op. cit., p. 16.
[92] Schefer, Le Temps dont je suis l’hypothèse, op. cit., p. 26.
[93] Ibid., p. 100-101.
[94] Jean-Paul Manganaro, Italo Calvino, romancier et conteur, Seuil, coll. « Les Contemporains », Paris 1998, p. 21.
[95] Italo Calvino, Temps zéro, trad. Jean Thibaudeau, Seuil, coll. « Points », Paris 1997, p. 43.
[96] Ibidem.
[97] Ibidem.
[98] Ibidem.
[99] Ibid., p. 45. On pense à Stan Brakhage (closed-eye vision) ou à Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, Gallimard, coll. « Tel », Paris 1979, p. 175 : « Un certain rouge, c’est aussi un fossile ramené du fond des mondes imaginaires ».
[100] Schefer, Le Temps dont je suis l’hypothèse, op. cit., p. 16.
[101] Ibid., p. 16-17. Allusion ici encore à l’enfance de la Terre, comme je le lis.
[102] Schefer rappelle l’importance de l’eau pour l’art pariétal : « L’eau et les ruissellements ne constituent pas seulement une condition du milieu conservatoire mais semblent une donnée (scénographique, culturelle), en tout cas rituelle – elle règle une périodicité de rafraîchissement des figures – ou cultuelle très importante ; je songe, par exemple, aux deux gravures de saumon sur le sol sableux de Niaux, aux poissons gravés dans une galerie du Portel et placés dans la ligne d’un cours d’eau tari (était-il, à tel moment, évoqué ou réel ?). La grotte apparaît du même coup comme réseau hydrographique maintenu en semi-activité : ruissellements, formation de lacs saisonniers ou permanents (Niaux), rivière à niveau variable (Montespan). Voilà en tout cas un élément de nature à modifier désormais les données interprétatives générales des œuvres pariétales et rupestres : l’eau non seulement conserve les figures, mais elle les alimente périodiquement. Elle les maintient en vie » (Questions d’art paléolithique, op. cit., p. 100).
[103] Schefer, De quel tremblement de terre…, op. cit., p. 105.
[104] Calvino, Temps zéro, op. cit., p. 50.
[105] « Les femmes dont nous visitons l’intérieur (telle ou telle grotte, c’est-à-dire telle personnalité sexuelle) non seulement contiennent et font des corps (en particulier nous-mêmes, à la différence de tous les animaux qui ne gardent pas notre mémoire), elles font, littéralement, de la couleur (du rouge) » (Schefer, Questions d’art paléolithique, op. cit., p. 27).
[106] « Qu’est-ce donc qui est rouge ? Ce qui est peint en rouge » (Schefer, Question de style, op. cit., p. 36).
[107] Je me permets de renvoyer à mon dernier ouvrage en date Brian De Palma. Épanchements : sang, perception, théorie, L’Harmattan, coll. « Esthétiques », Paris 2013.
[108] « Ce qui légitime une interprétation est aussi cette part de fiction qui s’y introduit à travers nous ; et, peut-être, quoi que nous en ayons » (Schefer, Question de style, op. cit., p. 10).