Derives.tv : bribes de choses qui me sont arrivées grâce à ce site, en sa compagnie. Je me souviens d’avoir lu un texte sur l’écriture documentaire, lorsque je tentais d’étudier précisément ces questions pour une thèse universitaire. J’ai pu visionner à nouveau les films d’appunti de Pier Paolo Pasolini1 – plutôt méconnus – dont j’avais besoin pour écrire un texte accompagnant un cycle de projections, et que je ne trouvais nulle part ailleurs… En y regardant Simon at the crack of down de Pierre Creton2, j’ai trouvé de quoi programmer une séance pour un petit festival grenoblois consacré au cinéma documentaire nocturne. Quand j’étais à Colmar où récemment je suis amené à passer beaucoup de temps, j’ai regardé une conférence performée que Till Roeskens a donné dans la ville voisine de Selestat (Plan de situation n°2 – Selestat, 2005-20063) en m’amusant à reconnaitre le paysage familier des aventures racontées. Je me suis noté qu’il faut organiser un visionnage domestique avec les colocs qui connaissent bien ce coin d’Alsace. Peut-être qu’à travers tous ces moments (et bien d’autres encore), j’ai commencé petit à petit à nouer un lien amical avec cette plateforme.
David et Jeremy ne parlent pas d’usagers pour ce site, d’ailleurs : ils parlent souvent d’amis. Quelque chose qui se réalise de proche en proche. L’invention d’un espace de diffusion et le tissage d’une trame de relations personnelles se fait concomitant ici. Ce qui se passe en ligne est la trace de rencontres qui ont lieu dans la soi-disant « vie réelle ». Mais aussi, à l’envers, ce qui se passe dans la « vie réelle » peut bien s’avérer le produit de quelque chose qui a eu lieu autour du site. Les frontières entre les activités numériques et les présences s’estompent. La plateforme tend à déborder : vers des projections, des revues, des dialogues radiophoniques, des collaborations professionnelles, des coups bus tard dans la nuit… Il n’y a pas d’argent en jeu, ni d’échéances. Le site grandit et fraie son chemin au gré des passions, des échanges et du temps disponible. Parce qu’il importe à quelqu’un. Si c’est du travail, c’est du travail libre et gratuit, sans salaire ni chef. La création des cinéastes (et à Derives tout le monde est cinéaste, ne serait-ce qu’en puissance) ne se limite pas à celle des films. Ils créent aussi des espaces de diffusion où ils partagent le fruit de leurs recherches et de leurs curiosités (des textes, des films, des audios…).
(JR)
- De M6 à Derives, en passant par Net4Image
JR : Commençons par l’historique, si vous êtes d’accord. J’ai pu grapiller quelques informations par ci et par là, sur internet notamment. Mais j’aimerais savoir plus précisément comment Derives est né, en particulier la relation entre la revue (d’abord ?) et le site (ensuite ?) : ce n’est pas clair pour moi…
DY : Au départ, c’était un site ! En 1999, j’étais à Paris car après une première année d’étude du multimédia, j’avais fait un stage à M6, c’était les débuts d’internet et ils m’ont proposé un emploi. J’avais 20 ans et j’étais concepteur multimédia4. J’étais monté de la campagne à Paris en me disant : « j’aimerais bien faire du cinéma ». Mais je voyais bien que ce qui m’intéressais du cinéma ne s’exprimerait pas à M6 où seule l’industrie était présente. Donc j’ai développé un site dont le premier nom était « l’arbre digital », devenu en 2000 « net 4 image ».
JR : C’était bien toi qui avais fabriqué le site, qui avais codé cette première version?
DY : Oui, je faisais du Html. En 2000 il n’y avait pas encore de diffusion audiovisuelle sur internet, à proprement parler. Mais, grâce à mon travail à M6, j’avais fait une formation sur ce qui s’appelait à l’époqueReal Video. Tu pouvais donc diffuser une image très compressée, même si à bas débit. À l’époque, quand tu regardais des films, c’était de l’abstraction totale ! L’idée était de montrer des films et, surtout, de sortir d’une forme de solitude : la mienne qui étais à Paris sans connaitre personne et m’intéressais à un certain cinéma sans savoir où rencontrer les autres gens concernés, ni connaître les codes du milieu. À la naissance du site, il y avait l’idée de rencontrer des gens finalement.
JR : Tu faisais cela tout seul, donc ? Tu chargeais des films en fichier sur internet ?
DY : Des fichiers de films, exactement, et aussi des textes. Je n’avais pas encore fait des études en cinéma et le site devenait pour moi une manière de me faire une bibliothèque : s’il y avait un texte qui me plaisait, je le reprenais et je le mettais sur le site. À ce moment-là circulait un fantasme que je partageais en partie, qu’avec le numérique un nouveau cinéma fabriqué de manière plus artisanale allait apparaître. Il y avait la miniDV (avec Arte qui avait lancé une collection de film tournés ainsi), il y avait le Dogme 95 de Lars von Trier et de Thomas Vinterberg … Je m’intéressais à cette nouvelle vague annoncée par le numérique et les gens qui m’envoyaient leurs films adoptaient souvent ce prisme-là. Petit à petit, il y a du contenu qui s’est ajoute pendant qu’une ligne éditoriale s’est dessinée par capillarité. Aujourd’hui il y a plus de 3000 pages en ligne.
JR: Donc, déjà dans sa phase précoce, on commençait à connaitre le site et te proposer des films ?
DY : Il ne devait pas y avoir grand-chose à l’époque sur internet concernant l’essai cinématographique et donc les gens repéraient mon site et envoyaient des films. De fil en aiguille, le site est devenu pour les gens qui diffusent leurs propres films un espace où ils se sentent en bonne compagnie. À côté de Godard, des Straubs, d’autres gens moins connus. C’est un endroit où certains cinéastes aiment retrouver leur film. Dernièrement, par exemple, Christophe Loizillon nous a dit qu’il était très fier d’être sur Dérives5. Le site est devenu un espace de diffusion qui a une certaine légitimité.
JR : Quand Derives a donc pris le nom actuel, par rapport à son premier format Net4Image ?
DY : Pendant mes études pour une maitrise de cinéma à Lyon en 2004, où j’ai rencontré des amies qui m’ont accompagnés dans la création de la revue Dérives : Noria Haddadi et Laura Ghaninejad. Puis, j’ai rencontré Damien Monnier à Lussas en faisant le Master Documentaire de Création. Et nous avons créé la revue papier & dvd et le site internet Dérives.tv, qui a repris du contenu de Net4Image. Jeremy nous a rejoint en 2007 après la parution du numéro 1 autour du cinéma de Jean-Claude Rousseau avec qui j’avais réalisé un entretien pour mon mémoire et dont les films n’avaient pas encore été édités.
JR : Voici donc la revue papier ! Je me demande quelle a été, pour vous, l’articulation entre l’édition d’une revue papier et la programmation de votre plateforme en ligne…
JG : Sur le site on a des films et des documents variés : des choses à voir, à lire, à écouter, en faisant des va-et-vient entre des supports différents. D’une manière similaire dans la revue il y avait des textes (des entretiens, des réflexions à propos des films) et aussi un DVD (une chose différente de la salle et d’internet) : les textes faisaient écho aux films qu’on pouvoir voir grâce au DVD. Et il y avait également une série de ramifications sur le site qui prolongeaient d’autres espaces de la revue.
DY: Il y avait une articulation entre temporalités. On avait des textes qui n’étaient pas prêts pour la revue papier et qui allaient en ligne. Petit à petit, on pouvait l’augmenter. L’avantage d’internet est la possibilité de mettre à jour un texte ou un document autant de fois que tu veux. En diffusant des appels à textes et à films sur le site internet, des gens ont pu également nous envoyer des contributions. Il y a même eu un japonais qui nous a envoyé quelque chose ! C’étaient parfois des personnes avec lesquelles on n’était pas du tout en contact, mais qui se reconnaissaient dans une certaine vision et un certain gout du cinéma.
- « Le site n’est pas une fin en soi »
JR : Ce que vous racontez me surprend un peu : que ce soit le site qui a produit une revue et non l’envers, selon une chronologie plus logique. Ce processus prend à rebours une série de présupposés à propos du remplacement des vieux media par les nouveaux. Vous dessinez une vision plus organique et moins linéaire des différentes strates…
JG: Et on organisait des projections aussi ! Ce qui n’est plus trop le cas ces dernières années. On avait l’habitude d’organiser régulièrement des évènements dans des contextes assez mélangés : dans des tout petits lieux (à Lyon, c’était presque exclusivement dans des bistrots), dans des locaux associatifs, parfois en salle ou dans des festivals, et à un certain moment dans des espaces plus institutionnels (des musées, des Beaux-Arts…). En particulier autour des parutions des numéros de la revue.
JR : Où en êtes-vous avec les séances signées Derives après avoir arrêté la publication de la revue ?
DY : Cela a continué avec le Videodrome6 et Le polygone étoilé7, à Marseille. Mais d’une manière moins régulière. En tout cas, en ce moment l’envie revient – j’ai l’impression – ici à Marseille avec la reconstitution d’un groupe. Par exemple, on fait un mailing list chaque saison et chaque fois s’en occupe une personne différente8. On aimerait qu’à chaque mailing list corresponde une diffusion au Polygone Etoilé, au Vidéodrome…. Afin que ce qu’on propose puisse être discuté, vu sur grand écran.
JR: Ce moment présent dont tu parles, David, correspond aussi à l’expérience traumatique d’un an avec les salles fermées d’une façon presque permanente et d’explosion du visionnage en ligne. Comment vivez-vous cette situation depuis le point de vue de Derives ?
JG : La période qu’on traverse a posé la nécessité de l’existence du cinéma dans l’univers numérique. Cela est à la fois un bénéfice et un risque. Et la situation actuelle nous donne plutôt envie de refaire des projections en salle ou bien de faire un numéro de la revue papier afin de réaffirmer que le site n’est pas une fin en soi.
L’histoire du site est très ancienne et pionnière car David a eu l’intuition de faire cela lorsque la vidéo en ligne n’existait quasiment pas, en anticipant une logique qui a mis beaucoup de temps à exister. Ce n’est qu’aujourd’hui – dans le confinement, avec le Covid – que les gens s’aperçoivent d’un vide énorme.Comment cela se fait qu’il y aie eu pendant si longtemps si peu de choses d’un tant soit peu profond et de qualité autour du cinéma en ligne ?
JR: Il y a donc une envie, chez vous, de prendre à rebours l’engouement général pour la diffusion en ligne et en sortir en affirmant à nouveau le lien entre l’existence du site et des rencontres en présence ?
JG: Je dirais qu’avec le confinement nous est apparu encore plus nettement l’importance d’endroits comme le Polygone Etoilé pour nos films : un lieu où à la fois on fabrique du cinéma, on fait des projections, on peut vivre et manger ensemble, on édite des livres avec des DVD. Maintenant que le numérique va se développer, il faut que le fait de se retrouver pour regarder des films ait, encore plus qu’avant, une vraie raison d’être, et notamment collective.Même dans les salles Arts et Essai, la place moins chère, les films plus rares ou le simple débat après un documentaire ne suffiront plus comme raisons d’existence. Il faut que le public y vive quelque chose et, par ailleurs, il faut que même la notion de public y devienne plus floue : que les cinéastes soient présents, que les spectateurs fabriquent quelque chose… On a besoin de lieux où tu regardes des films, où tu manges, où tu fais la fête : même dans une villecomme Paris, des lieux pareils n’existent pas ou il n’en y a très peu. C’est fou que la norme soit : tu vas au cinéma et tu paies ta place ensuite tu sors et, éventuellement, tu vas dans un bistrot pas loin pour discuter jusqu’à ce que le bistrot ferme et chacun rentre chez soi.
DY : A ce sujet, je me disais qu’il y a une grande différence d’expérience entre voir un film dans un multiplexe et voir un film projeté sur un drap sous les étoiles. Sur internet, en revanche, techniquement,Netflix et Derives.tv utilisent quasiment les mêmes dispositifs de diffusion. Et donc, il nous faut inventer des dispositifs de diffusion qui restent fidèle à la fabrication artisanale et à la temporalité des films que nous réalisons. Et cela passe sûrement par autre chose qu’un écran d’ordinateur. Peut-être retrouver le sens des projections nomades.
JR : Sauf que les films mis à disposition par Derives ne sont pas sélectionnés par Netflix…
JG : C’est vrai, mais dès que le visionnage des films en ligne devient la norme, la question de micro-économies sur internet pour les films marginaux va se poser. Ce n’est pas Netflix qui fera cela. Pourtant, il y aura d’autres plateformes qui ouvriront des champs de visibilité pour des films moins commerciaux, en essayant de monétiser – et c’est tant mieux pour les auteurs. - « Si tu partages les choses, elles existent »
JR : Il y a des économies alternatives de la diffusion en ligne, pas strictement commerciales. Je pense à la plateforme italienne OpenDDB qui distribue des films marginaux (comme du documentaire d’auteur ou du cinéma militant) à travers des licences creative commons et une forme de prix libre. Cela pour mettre un place un circuit de visibilisation et financement directe des productions indépendantes, dans un contexte comme celui italien où le système de soutien à la française est absent.
DY: C’est intéressant. J’imagine qu’ils ont des salariés pour faire le travail, alors que pour nous la gratuité reste une manière d’éviter cela : on n’a jamais signé un contrat avec personne. Si on était obligé de basculer dans ces logiques, je ne crois pas qu’on continuerait à le faire. On n’aurait pas envie de gérer une redistribution des droits… Mais c’est bien que cela existe. Il est vrai qu’en Italie, à cause de ce genre de lacunes institutionnelles, il y a plus d’initiatives indépendantes de ce genre. Je pense au fait que Pedro Costa ou Tariq Teguia ont édité et diffuser leurs films là-bas avec malastradafilm9. En France, le poids de l’institution empêche parfois ce genre de logiques alternatives, même si les choses vont peut-être changer car faire un certain cinéma devient de plus en plus difficile, ici aussi.
JR: Et donc, Derives, dans quelle économie s’inscrit-il ? Tu viens de mettre en discussion la question du travail mais aussi des droits ou des revenus : comment vous envisagez cela dans votre gestion du site ?
JG : Nous avons un rapport particulier à l’argent. Nous n’avons à gérer que les frais du compte video et des serveurs pour l’hébergement : en tout environ 360 euros par an. Et on ne rémunère personne, on ne se rémunère pas, sauf quelques interventions du web master d’une façon symbolique. Pendant longtemps David et moi nous avons payé ces frais de notre poche, après avoir arrêté de vendre les revues qui couvraient avant ces couts. Récemment on a fait un petit appel à dons pour financer l’hébergement du site qui a bien marché : très vite nous avons eu assez d’argent et nous avons clôt l’appel. Mais, même cela nous a posé des questions. Si les gens nous donnent de l’argent, cela nous oblige à quelque chose ? On est redevable envers eux ou pas ? Mais finalement ça ne demande qu’une dizaine d’euros – dans la mesure du possible – à des personnes qui utilisent le site depuis des années : à l’échelle de leur usage de Dérives ce n’est rien du tout.
DY : En tout cas, cela a rendu visible un réseau de solidarité. On n’a communiqué que sur notre espace Facebook et en deux semaine on avait 600 euros.
JG : Facebook peut être un outil puissant. Je pense à l’expérience de groupe de La loupe où j’ai été actif surtout au début dans l’échange de films rares et qui réunit des milliers de personnes. Combien ? 14.000 membres environ, dont des sélectionneurs de grands festivals, des critiques, des personnes impliquées dans des institutions ! C’est une autre logique, bien sûr : du partage de films dans un groupe privé. Mais il a élargi le cercle de Dérives. Facebook pose problème, sans doute, mais il est intriguant que ce soit dans l’enceinte de ce site qu’un groupe à la lisière de la légalité soit sur-actif dans l’échange de films au niveau international. Ce n’est pas rien. Dans son discours à la remise des prix, Radu Jude, qui a eu l’ours d’or à Berlin, a dit qu’il remercie une des initiatives les plus dingues de l’année : La loupe !
JR : Votre économie rigoureusement non marchande et en dehors du salariat me fait penser à un slogan de Kenneth Goldsmith qui, en parlent d’UbuWeb, affirme d’une façon provocatrice: « l’argent est surévalué ». Il ajoute, par ailleurs, que ce qui compte pour l’existence de sa plateforme est la « sollicitude humaine », c’est-à-dire les liens entre des gens qui se soucient d’elle et de son fonctionnement10.
JG : En effet, il y a très peu de gens sur le site avec lesquels on n’a pas des rapports d’amitiés. Et on n’a jamais été engagé dans la défense forcenée d’un certain cinéma, ni on a voulu prendre une place socialement. Cela a par ailleurs structuré nos vies. Moi, par exemple, je gagne ma vie en tant que monteur et je monte principalement des films d’amis : je ne sais pas s’il y a un seul ami parmi ceux-là qui n’est pas lié à l’histoire de Derives. Mes amitiés et mon travail sont profondément liés à l’histoire du site.
DY : Je trouve rassurant que ce site continue et que les films y restent disponibles, en dehors de toute économie commerciale. Et cela rejoint l’intention de départ : je suis à Paris, un peu isolé, je veux faire du cinéma sans avoir fait des études et je me dis que si tu partages les choses elles existent. Cela est devenu collectif : ensemble nous mettons nos films sur Derives pour qu’ils existent et donc nous sommes des cinéastes sans attendre l’aval des institutions, des festivals ou des critiques. J’imagine que Derives.tv peut servir à diffuser des films plus de l’ordre de l’essai, des formes inachevées, des vidéo-lettres…
JR : Vous indiquez une imbrication entre Derives et une certaine forme de valorisation du travail cinématographique d’un milieu dont vous-même faites partie. Pouvez-vous préciser comment opère le site dans cette économie (d’accessibilité, d’abord) qui est aussi la vôtre?
JG : A part quelques noms plus connus parmi nous, on fait principalement des films avec peu d’argent, avec une certaine patience. Et, ensuite, leur existence est assez éphémère. Si tu as de la chance, ils existent un an, d’une manière évènementielle, lorsqu’on les présente en festival. Mais leur vie s’arrête rapidement. Le site constitue un moyen de prolonger naturellement « à l’éternité » leur existence, de les maintenir en permanence quelque part. Sans que la géographie ou l’histoire des dates aient beaucoup d’importance, les films cohabitent en présence, tu peux y plonger quand tu veux. Il s’agit d’un site qui n’est pas structuré d’une façon très cohérente par rapport aux moteurs de recherche et qui laisse donc de la place à une navigation aléatoire : il porte bien son nom, du coup ! Même si personnellement je considère que c’est une aberration que nos films n’aient pas d’autres formes de vie. Parfois on a quand même la chance de remontrer les films dans des lieux amis, des petits circuits, des contextes confidentiels. Cela nous fait plaisir. - Un écosystème technique fragile.
JR : Jeremy a fait référence à l’organisation du site : un écosystème très ouvert et epuré, distant des années-lumière du design addictif des plateformes commerciales. Comment marche Derives d’un point de vue technique ? Comment est-il structuré ?
DY : On avait l’impression au début qu’internet était un endroit de liberté et d’expression, alors qu’il est devenu de plus en plus un espace marchand où on va essayer de mettre des bâtons dans les roues de tout ce qui est hors économie. Par exemple, nous avons un hébergement chez 1&1 où ils nous font payer des taxes pour rester si on ne met pas à jour le PHP. Et mettre à jour le PHP signifie courir le risque que le site cesse d’exister et, en plus, cela demande de l’argent. On a refait toute l’architecture du site une fois, parce qu’on était en SPIP et ce langage n’était plus mis à jour : à ce moment-là, on a dû passer sur WordPress et le site a arrêté de fonctionner. Notre web designer a dû intervenir pour résoudre le problème car avec mes compétences je n’y arrivais plus. Avec l’Html je m’en sortais, mais aujourd’hui la complexité du langage me dépasse.
JR : Justement, pour revenir à Kenneth Goldsmith dont je vous parlais tout à l’heure, il insiste sur l’importance pour l’histoire d’UbuWeb de ne jamais avoir quitté le langage basique en Html qu’il connait, pour faire en sorte de pouvoir maitriser son développement tout en échappant aux mises à jour dont tu parles. L’enjeu est une forme d’independance.
DY: A un moment donné, j’avais envie de pouvoir partager la gestion du site avec d’autres. Donc, avec le webdesigner Fraktale11, on a mis en place un formulaire pour que la mise en ligne soit accessible. Techniquement, n’importe quel cinéaste peut insérer du matériel tout seul en lui donnant un mode d’emploi très rapide et en lui créant un compte. Le web designer a mis cela en place, quelque chose de pratique. Le contrecoup est que techniquement nous ne sommes plus indépendants. Chaque fois qu’on doit transformer le site, il faut qu’il nous aide. Même Google nous a envoyé des messages, en nous menaçant de nous retirer du référencement car ils nous manquent certains systèmes de sécurité. C’est certain qu’il faudra payer pour être référencé, tôt ou tard ! - Du carnet de recherche à l’espace de programmation
JR: Le résultat de cette intention de partager « le site avec d’autres » me paraît bien témoigné par l’implication de Jeremy au cours du développement de ce qui était d’abord ton initiative individuelle, David, ton micro-media. Comment cela s’est fait ? Quelle est la manière de chacun de faire vivre cet espace ?
JG : Je suis arrivé à la fin de la préparation du premier numéro de la revue, en les aidant à organiser une grande journée de projections et de rencontres dans un lieu qui s’appelait Les voutes à Paris. Ensuite en vivant à Lyon et en travaillant ensemble, on est devenu amis. Comme le disait David, le versant très collectif de Derives s’est surtout produit autour de la revue qui s’est étalée dans le temps entre 2007 et 2015. David s’est beaucoup occupé du site, une initiative qui m’a immédiatement parlé et j’ai donc été un de ceux qui l’ont accompagné même une fois que je n’étais plus à Lyon. Pour David le site est resté une sorte de prolongement d’une recherche dans le cinéma, comme il le racontait. Il a toujours tenu des carnets de notes autour de ses films en cours, par exemple. Et lorsqu’il travaillait en médiathèque il partageait des documents auxquels il avait accès (comme des archives de revues) en les scannant. Le site devenait un moyen assez immédiat pour partager quelque chose qui nous touche, en l’ajoutant dans la constellation. Comme on est des subjectivités différentes, le site a pris une forme de plus en plus dispersée et, en même temps, cohérente et vaste. Ma participation a été plus sporadique et irrégulière que celle de David. Du côté du site, tout a été géré bénévolement (alors que pour la revue papier on a eu des aides publiques aussi).
JR : Mis à part le travail personnel de David qui partage le fruit de ses recherches, comment vous alimentez le site ? Comment toi, Jeremy, tu participes personnellement à cet aspect de Derives ?
JG : Soit des personnes nous écrivaient parce qu’elles se sentaient en amitié (au sens large) avec des choses qu’elles découvraient sur le site, soit nous rencontrions des gens car nous avons toujours participé à des collectifs et des lieux liés au cinéma (par exemple, dans des petits festivals). J’ai toujours eu le réflexe, lorsque je faisais la connaissance de quelqu’un qui me plaisait humainement ou dont j’aimais le travail, de proposer de l’inclure dans le site. Même aujourd’hui je continue à dire : « Tiens, si un jour tu souhaites que ton film soit présent sur le site, n’hésite pas ! ».
DY : J’ai l’impression que toi, Jeremy, tu te retrouves particulièrement dans l’idée de programmer des films. Cela veut dire mettre en rapport différents films que tu as trouvés, qui te plaisent, que tu vois en festival… Alors que, pour moi, Derives représentait plutôt une bibliothèque. Je retranscris des textes qu’il me fait du bien de partager, poser quelque part, où je vais pouvoir revenir…
JR : Qu’est-ce que cela signifie pour toi, Jeremy, de « programmer » sur Derives ?
JG : Pour moi les films sont pareils que les textes pour David. J’ai eu une période où j’allais beaucoup sur des plateformes de téléchargement, quand le piratage était un peu moins généralisé, et je pouvais y trouver des films dont j’entendais parler. Si j’arrivais à en télécharger certains assez rares, qui nourrissaient mon rapport au cinéma et me plaisaient vraiment, je les mettais en ligne en me disant « là, ils sont publics ». Sans me poser trop la question des droits, tout en respectant certaines règles. C’est-à-dire : sur le site soit on met des films contemporains car on est en lien avec leurs autrices, soit des films de patrimoine qui ne sont pas édités en France ou bien les cinéastes sont morts sans jamais vraiment faire de l’argent avec leurs œuvres. On n’a pas expliqué ça publiquement sur le site. On navigue avec ces principes, on reste prudent et on discute ensemble s’il est opportun de publier tel ou tel films.
JR : Et il vous arrive qu’on vous écrive pour vous demander d’enlever les films ?
JG : Rarement. Parfois on reçoit ce genre de demandes de la part des ayant droit ou des distributeurs, et on retire, bien entendu, mais jamais des auteurs car il n’arrive (presque) jamais qu’on mette en ligne le film d’un cinéaste vivant sans son accord.
JR : Et vous ne tentez pas de convaincre les gens, dans ces cas, que la présence de ces matériaux sur votre site constitue un moyen de les valoriser qui ne remplace pas d’autres potentiels circuits et économies mais au contraire le peut faire exister d’une façon complémentaire ? Voire qu’ils peuvent s’entraider, paradoxalement ?
DY : Cela nous arrive aussi : il y a des programmateurs qui découvrent des films sur Derives et ensuite les sélectionnent. Je vois, par ailleurs, que parmi les inscrits de la mailing list il y a beaucoup de programmateurs qui font du site un espace de prospection. Pour nous, diffuser un film en ligne n’a jamais été pensé comme une fin en soi. C’était surtout pour donner l’envie à d’autres de le programmer et aussi pour que cela puisse générer une économie pour l’auteur. On met le contact de la cinéaste sur les pages pour qu’on puisse entrer en contact directement avec elle.
JR : Est-ce que vous avez un exemple sous le coude de ces gestes de valorisation qui peuvent se déployer du site en direction des projections collectives ?
JG : Ta question me fait penser aux films grecs presque inconnus en France, qu’on a programmé grâce au travail de Maria Kourkouta. Il y avait notamment un cinéaste âgé, et un peu oublié, même dans son pays, qui s’appelle Fotos Lambrinos. Et suite notamment à nos mises en ligne, une rétrospective de son travail a été organisé dans la ville où il vit, en Grèce. Il y a aussi un autre réalisateur grec, Filipos Koutsaftis, dont Maria a sous-titré son film, magnifique « La Pierre Triste »12, que nous avons diffusé sur le site. Et cela a généré un certain nombre de projections en France. Cela crée, parfois, une petite économie circulaire pour ces films. - Composer une famille
JR: Comment vous en êtes arrivés à cette économie circulaire autour du site ? J’imagine qu’il a fallu du temps et une certaine constance pour créer ce milieu de confiance et de rencontre, que ce soit du côté des cinéastes ou des programmateurs.
JG : La famille élargie de cinéma dans laquelle gravite le site, elle s’est constituée avec le site lui-même, en partie au moins. Il s’agit d’un travail lent, sur de nombreuses années et cela a permis aux reflexes de se transformer. Ce sont aussi nos discussions individuelles avec certains auteurs qui ont souvent fait bouger les lignes. Par exemple, nous nous sommes toujours intéressés au cinéma expérimental et au cinéma en pellicule et pendant très longtemps pour ce genre de cinémas montrer des films en ligne en version numérique a été le sacrilège. Il y avait aussi l’enjeu de la rareté et de se retrouver ensemble pour regarder un film. Je me souviens d’avoir eu des échanges un peu animés sur ces sujets avec des gens qui, plus tard, revenaient pour nous demander de mettre des films sur le site. Ils ont constaté que ce cercle vertueux dont on parlait existe vraiment. Il nous est arrivé qu’on mette des films en ligne de gens qui n’avaient pas réussi à être sélectionnés dans aucun festival et en avait marre d’attendre. C’est la mise en ligne qui a ensuite généré des projections ou des éditions DVD, ou encore de rétrospectives de travaux oubliés.
JR : Cela me fait penser à la publication récente des œuvres de Christophe Loizillon dont je n’avais jamais entendu parler et que j’ai commencé à visionner sur Derives. Cela me donne envie, en effet, de les proposer en projection dans un contexte collectif.
JG : Oui, on lui a proposé de diffuser son film sur les mains et lui ensuite a décidé de mettre en ligne toute sa filmographie. La situation avec Till Roeskens a été similaire. Il fait partie du groupe de cinéastes (comme Philippe Côte ou Nazim Djemaï13) qui ont traversé fortement nos vies, qu’on connait depuis longtemps, parfois depuis leurs premiers films. Till a décidé, à un moment donné, qu’il allait arrêter de faire de la création pour s’engager dans d’autres initiatives, plus militantes (comme faire du maraichage). Lorsqu’il a décidé cela, il a fait un livre chez Al Dante pour faire le point rétrospectivement sur l’ensemble de son parcours et de ses réflexions artistiques. A cette époque-là, il nous a dit de tout mettre en ligne, à disposition gratuitement : aussi des court-métrages peu montrés, ses premières projections de diaporama performatives14…
JR : Pourquoi il vous a demandé cela ? Comment il a justifié cette envie ?
JG : Je pense qu’il avait exprimé la réflexion suivante. Tu peux choisir de te faire ta chaîne Youtube, tout seul dans la jungle, ou ton compte Vimeo, un espace plus consacré à la création. A une époque du moins, il n’y avait pas vraiment d’espaces collectifs sur Internet en France et on a été poussé à rester chacun dans son coin en attendant que quelqu’un tape ton nom sur internet et tombe sur ton travail. Alors que sur Derives tu te situes au sein d’une famille de cinéma, assez variée. Il y a eu toujours un va-et-vient constant entre des pères et des mères en commun (Akerman, Deligny, les Straubs…), entre le passé et le présent. On publie régulièrement des documents rares autour de leur travaux, en recomposant une sorte de généalogie.
JR: Comment vous construisez ces liens en travaillant avec les personnes dont Derives diffuse le travail ? D’où vient cette familiarité qui s’instaure autour du site ?
DY : En ce moment, par exemple, nous travaillons autour de Marylène Negro qui est une amie de Christophe Loizillon et qui a pris contact avec nous pour qu’on diffuse son travail. Manlio Pedrotti a établi une correspondance avec elle et avec Lo Thivolle, qui a rejoint l’équipe de Dérives, ils travaillent sur cette mise en ligne d’un entretien et de ses films. Pour mettre en ligne le travail d’un auteur, dans l’idéal, il faut que se crée un rapport avec cet auteur. À ce propos, sur Derives.tv ont met aussi à disposition des émissions radio qu’on fait sur Radio Galère depuis 10 ans avec Lo, Fabrice Coppin et Ouahib Mortada15. Et il nous est arrivé de faire des entretiens radiophoniques avec des auteurs dont nous diffusons le travail, nous l’avons fait récemment avec Christophe Loizillon. Cela nous donne l’envie de le faire régulièrement pour approfondir la rencontre et la découverte de l’œuvre. Nous posons beaucoup de questions sur la fabrique et le désir du cinéma, ce qui nous intéressent particulièrement en tant que réalisateurs.
JR : Cela implique que l’ensemble des personnes qui travaillent sur Dérives sont plutôt des cinéastes ?
DY : Mis à part moi et Jeremy, il y a Lo et Darjeeling Bouton qui nous ont rejoint il y a quelques mois et ils sont cinéastes. Ensuite, il y a Noria qui travaille en bibliothèque à Lyon. Et il y a des présences proches comme Stéphane Moro, un chercheur en cinéma qui partage avec nous beaucoup de documents passionnants. Le site a surtout généré beaucoup de rencontres, entre nous mais aussi entre des gens qui ont vu réciproquement leurs travaux sur Derives.
JR: Et, au-delà du cercle de votre groupe ainsi que des cinéastes qui collaborent avec Derives, la famille se déploie aussi dans la direction d’autres expériences similaires ou alliées ? Peut-être à l’étranger ?
DY: Il y a la revue Lumière16 en Espagne, une revue, qui publie plus de textes que de films. On s’y retrouve dans leur approche. Il y a parfois des échanges, même s’ils travaillent en espagnol : ils ont mis en ligne une traduction espagnole des entretiens avec Rousseau du numéro 1 de Derives. Ils partagent des écrits de cinéastes peu visibles qu’on a défendu ensemble comme Antonio Reis et Margaida Accordero ou Stavros Stornes.
JG : Ensuite il y a aussi Sabzian en Bélgique (c’est le nom d’un personnage de Kiarostami)17. Mais on parle toujours de sites qui publient principalement des textes. Il n’y pas beaucoup d’espace qui partagent aussi des films, peut-être pour des problèmes de droit d’auteur. Ce genre de sites est plutôt payant, ou bien privé. Un autre site qui m’a nourri par exemple a été Surreal Movies : une communauté, surtout de l’Europe de l’Est, qui ressemble pour certains aspects à Karagarga. C’était un travail d’archivage incroyable, avec beaucoup de documents pour chaque films (des textes, des photogrammes). Ils ont été fermés pour des questions légales, pour du piratage. - En étudiant en compagnie de Dérives
JR: Lorsque je pense à Derives en ce moment, une des premières choses qui me vient à l’esprit est ce qui nous est arrivé à la fac récemment, à partir du moment où on était en enseignement à distance et qu’on n’avait pas la possibilité de projeter les films dont on parlait dans la salle de cours. J’ai donc dû chercher des films disponibles en ligne pour les partager avec les étudiantes, pour que chacun puisse le voir chez lui lorsqu’il avait des bonnes conditions de visionnage. Je me suis retrouvé à faire recours à Derives, entre autres. Par exemple, pour donner un cours sur Masao Adachi et son Aka Serial Killer. Le site devient un outil pédagogique.
DY : Quand j’allais en Algérie pour mes films, on ne savait pas que j’avais créé ce site et il y a eu une personne qui est venu me voir en me disant que pour ses cours de cinéma (pour montrer des textes et des films) il se servait de Derives. C’est chouette que le site puisse servir pédagogiquement ! D’autant plus que Derives représente le travail qu’on a fait nous pour apprendre le cinéma, il en est la trace. Cela boucle quelque chose.
JG : A propos de la fac, je n’ai pas fait des études universitaires et je ne connais pas bien tout ce qui a trait à la théorie ou à la critique du cinéma. Ce qui m’a toujours passionné sont les écrits de cinéastes, les témoignages de ceux et celles qui fabriquent. Et les films, bien entendu ! Ce qui m’intéresse est la jonction des deux. Un site plutôt foisonnant comme Derives peut être intéressant pour des étudiants, même s’il y a très peu de théorie ou de critique car il est alimenté par les auteurs eux-mêmes. Il y a un peu de Daney ou de Deleuze, certes, mais ce n’est pas majoritaire. Derives est plutôt un bricolage de films et de prises de parole des gens qui les font, sans passer nécessairement par les mailles de la théorie. Bien que nous n’ayons jamais conceptualisé cette approche sur laquelle nous nous sommes entendus.
JR : Le site et la manière dont vous le présentez me fait penser, quand même, qu’il est le résultat d’une activité d’étude, au sens large d’un travail intellectuel autour de quelque chose qui vous passionne et vous importe. Même si ce travail n’a rien à voir avec un horizon académique ou scolaire. Derives est la trace de vos recherches.
JG : Certainement, pourtant David et moi, nous sommes surtout des personnes qui font du cinéma et qui sont peu amenés à écrire à propos de celui-ci. David un peu, moi pas du tout. Nous ne sommes pas dans le champ de la recherche ni dans celui de la théorie. La question principale pour nous est qu’est-ce qu’on fabrique collectivement avec le cinéma quand on est cinéastes. Tu as fait référence au Cinéma Voyageur, on a cité le Polygone Etoilé, je pense aussi à L’Abominable : ce sont des outils de fabrication, de diffusion,générés dans le champ du cinéma par des gens qui font des films. À une époque, nous avions même souhaité que les cinéastes qui contribuaient à Derives participent d’une manière plus significative et s’impliquent dans leur propre espace dans la constellation. Même si cela ne s’est produit que rarement, nous avions envie de leur donner un espace pour qu’ils s’en emparent et l’aliment comme ils veulent. On avait conçu ainsi le format de la constellation. C’était un pari un peu fou qui n’a pas forcément marché…
DY : Finalement, c’est une maison de cinéma qui fonctionne selon une optique d’hospitalité qui nous amène aussi à mettre ne ligne des choses qui ne nous satisfont pas totalement. On ne met pas des choses qui nous dépitent, mais on n’est pas non plus des sélectionneurs : nous ne sommes pas à l’aise avec cela, c’est un problème qui s’est posé plusieurs fois.
JR : Comment vous procédez pour choisir et mettre en ligne des matériaux ? Il y a un travail de publication qui demande des choix éditoriaux.
JG : Je dirais qu’il est surtout question de temps, plutôt que de sélection à proprement parler : de la disponibilité qu’on a. C’est le temps qu’il nous faut pour regarder les films, pour s’entretenir avec les cinéastes, faire la mise en ligne… C’est quelque chose qui a plutôt trait au rythme d’un travail bénévole, sans argent, qui s’adapte aux conditions de nos vies – même lorsque nous mettons en ligne une programmation quatre fois par an. Il y a toujours eu une certaine sérénité, en dehors de toute pression et de devoir faire quelque chose de précis avec ce site. La gestion a toujours été très libre : même quand on habitait dans de villes différentes, je regardais ce que David publiait et je rebondissais en fonction de ce que cela pouvait m’évoquer.
DY : Comme nous ne faisons pas de demande de subventions, on n’est obligé de rien ! On reste très libres, sans contraintes. Si on a envie de partager quelque chose, on le fait. C’est très agréable.
JG : C’est cela, à mon avis, qui a fait en sorte que le site existe depuis si longtemps. Peut-être qu’il n’aurait pas duré, si on avait choisi une voie avec de l’argent, des écheances, des rapports plus prestigieux avec tel ou tel cinéaste important. On ne représente rien de particulier ni personne, bien qu’avec le temps Derives ait été reconnu, à son échelle. Quand tu es attendu au tournant, ce n’est pas si simple.
DY : En plus, sur le site il n’y a pas nos noms. On ne signe pas. Alors là, quelque part, c’est un peu contradictoire de raconter tout cela en notre nom, mais bon, sans doute c’est interessant aussi, pour certains, d’entrer dans notre petite cuisine.Il y a quelques annéesd’autres membres de Dérives m’ont demandé d’enlever les noms de ceux qui y travaillaient (qui à l’époque apparaissaient) et cela a été un peu douloureux, alors que j’avais passé des milliers d’heures à mettre en ligne toutes ces pages. Il y avait un débat sur ce qui est collectif et ce qui ne l’est pas. Avec du recul, le fait d’avoir enlevé les noms de tout le monde a été vraiment libérateur. A partir de ce moment-là, je n’ai plus signé les éditos dans la liste de diffusion. On ne doit pas représenter Derives. Dans l’idéal il faudrait que les gens fassent des copies du site et qu’ils les mettent ailleurs.
JR: C’est bien ce qui se passe, quelque part. Moi, je suis le premier qui télécharge des choses du site et le partage ensuite.
DY : C’est bien que cela se passe ! Le site ne nous appartient pas, c’est un espace de partage. Aussi, les émissions radio que nous faisons sont en Creative Commons. La parole que nous receuillons peut donc circuler librement.
JR: Et vous avez fait vous-mêmes des copies de vos matériaux ? Pour ne pas risquer de tout perdre…
DY : On a une copie des pages du site, mais pas des vidéos. Il faudrait le faire, c’est fragile ! On avait l’idée,à ce propos, de joindre une clé USB contenant tout le site (sans les vidéos) au prochain numéro papier, si on le fera. Cela pèse trois gigas environ, il est possible de le mettre dans une clé. Ainsi tout le monde pourra avoir une copie du site ! Et lorsque le site disparaîtra, il restera ainsi une trace de ces recherches en cinéma.
Conversation à trois du 21 mai 2021 (Marseille)
PS. Playlist collective
JR : Cher Dérives, j’aurais envie de joindre à notre conversation un contenu bonus – pour ainsi dire – en proposant à l’ensemble de votre équipe de fabriquer une sorte de « playlist » de pages de votre site qui vous tiennent particulièrement à cœur ou qui vous semblent avoir marqué son histoire. J’imagine de constituer un petite liste de suggestions de textes et de films pour guider les personnes qui nous liront à la découverte de quelques perles plus ou moins cachées de votre plateforme. Merci d’avance !
Steph
“La subtile mémoire des humains du rivage (extraits)”
Une coupe transversale dans les 20 années de pratique d’ateliers cinématographiques en pellicule menés par Film Flamme à Marseille, 1996-2020
http://derives.tv/la-subtile-memoire-des-humains-du-rivage-extraits/
“Il était une fois un petit cinéaste”
Texte de Jean-Marie Straub, 1962
http://derives.tv/il-etait-une-fois-une-petit/
“Jaime : L’Inespéré du cinéma portugais”
Entretien de João César Monteiro et António Reis, 1974
http://derives.tv/jaime-linespere-cinema-portugais/
“Jaime”
Film de António Reis, 1974
Noria
“Buñuel. Poésie et Cinéma”
Extrait d’une conférence donnée à l’Université de Mexico, décembre 1953
http://derives.tv/bunuel-poesie-et-cinema/
“Qu’est-ce que l’Art, Jean-Luc Godard ?”
Texte de Louis Aragon, 1965
http://derives.tv/qu-est-ce-que-l-art-jean-luc/
“Venezia 70 Future Reloaded”
Film de Tariq Teguia, 2013
http://derives.tv/venezia-70-future-reloaded/
“Cent visages pour un seul jour”
Film de Christian Ghazi, Liban, 1969
http://derives.tv/cent-visages-pour-un-seul-jour/
Lo
“Ecce Homo”
Film de Vesna Ljubic, 1996
“Bruit de fond, une place sur terre”
Film de Olivier Derousseau, 2001
“L’atelier de Marcel Hanoun”
Manifeste, texte de Marcel Hanoun, novembre 2007
http://derives.tv/l-atelier-de-marcel-hanoun/
“Cinéma [et] politique. « Faucille et marteau, canons, canons, dynamite ! » “
Entretien avec Jean-Marie Straub et Danièle Huillet par François Albera, 2001
http://derives.tv/cinema-et-politique-faucille-et/
Jeremy
“Réminiscences d’un voyage en Palestine”
Film de Dominique Dubosc, 2004
“L’angle du monde”
Film de Philippe Cote, 2006
http://derives.tv/l-angle-du-monde/
“Pourquoi filmez-vous ?”
Manifeste de Stavros Tornes, 1987
http://derives.tv/pourquoi-filmez-vous/
“Evidence et étrangeté du projet d’archives Getaway”
Transcription d’une discussion préparatoire, 2012
http://derives.tv/evidence-et-etrangete-du-projet-d/
David
“À peine ombre”
Film de Nazim Djemaï, 2012
http://derives.tv/a-peine-ombre/
“Echos d’échos”
Vidéos de Zoheir Mefti, 2011-2012
http://derives.tv/echos-d-echos/
“Présentation du film « Jeune femme à sa fenêtre lisant une lettre »”
Texte de Jean-Claude Rousseau, 1988
http://derives.tv/presentation-du-film-jeune-femme-a/
“Entretien vidéo avec Robert Kramer”
Par Octavia de Larroche, 1994
http://derives.tv/entretien-video-avec-robert-kramer/
Darjeeling
Agarrando pueblo » (« Les Vampires de la misère »)
Film de Luis Ospina et Carlos Mayolo, 1978
http://derives.tv/les-vampires-de-la-misere/
“Aral”
Film de Aminatou Echard, 2007
“Notes sur le geste”
Texte de Giorgio Agemben, 1991
http://derives.tv/notes-sur-le-geste/
“Feuilles de montage pour une Gravida cinématographique”
Texte de Raymonde Carasco, 1976
http://derives.tv/feuilles-de-montage-pour-une/
1Voir l’espace consacré à l’auteur italien sur le site: https://derives.tv/constellation/pasolini/
2Accessible à l’adresse : https://derives.tv/simon-at-the-crack-of-dawn/
3Accessible à l’adresse : https://vimeo.com/63841248
4 M6 est une chaîne de télévision généraliste française né dans le contexte de l’ouverture au domaine privé et commerciale du secteur à la fin des années 1980.
5Pour avoir accés aux travaux de Christophe Loizillon voir son espace dans la constellation : http://derives.tv/constellation/loizillon/
6Ancien vidéoclub Marseille devenu aussi un espace de projection et de convivialité avec une programmation éclectique, tournée souvent vers des cinémas mineurs. Voir : https://www.videodrome2.fr/
7Autre espace historique de diffusion, édition et création dans la ville de Marseille, engagé dans des formes cinématographiques alternatives, dont on reparlera plus bas. Voir : http://www.polygone-etoile.com/
8Voici l’adresse pour consulter les lettres saisonnières de la plateforme Derives: http://derives.tv/saisons/
9 Pour se renseigner autour de cette initiative italienne polymorphe, voir: https://malastradafilm.com/about/
10 Je me réfère à son « Manifeste polémique d’UbuWeb » publié en traduction française dans la revue Multitudes, n° 79, 2019 (disponible en ligne :https://www.cairn.info/revue-multitudes-2019-3-page-155.html).
11Voir: https://fraktale.net/
12Le film est accessible à l’adresse: http://derives.tv/la-pierre-triste/
13Voir les espaces de la Constellation consacrés aux cinéastes Philippe Cote (1965-2016) et Nazim Djemaï (1977-2021), tous les deux disparus prématurément : http://derives.tv/constellation/djemai/; http://derives.tv/constellation/cote/
14 L’ensemble des travaux de Till Roeskens sont donc mis à disposition sur le site : http://derives.tv/constellation/roeskens/
15 L’archive des émissions radiophoniques est accéssible à l’adresse: http://derives.tv/en-quete-de-cinema/
16 Voir: http://www.elumiere.net/
17 Voir : https://www.sabzian.be